Gildas
Dacre-Wright
CONSTANCE
CHARPENTIER
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AVANT - PROPOS
Personne,
en dehors du milieu de la peinture, ne connait le nom de Constance-Marie
Charpentier. Bien peu, dans ce milieu, s’y intéressent. Tout au plus sait-on
qu’un tableau d’elle se trouve au musée de Picardie à Amiens et qu’un dessin
qualifié d’autoportrait existe au musée Magnin de Dijon. Le néoclassicisme,
surtout quand il ne s’agit pas de ses représentants les plus éminents, ne fait
guère recette en ce début du XXIème siècle. Et la notoriété passagère que valut
à Mme Charpentier l’attribution en 1951 d’un ravissant tableau exposé au
Metropolitan museum of art de New-York s’estompe depuis qu’en 2007 il a été
réattribué à une autre peintre de son temps. Ceux qui étaient tentés de lui
attribuer tel ou tel tableau non signé et plus ou moins vaguement dans son
style, histoire de faire monter les enchères dans les prisées, s’en
désintéressent.
Personne, ou si peu de monde, ne sait qu’elle
fut, par le seul jeu des circonstances, bien près du cœur de la Révolution et
que si, finalement, elle ne fut pas personnellement menacée, cela n’alla pas
sans de réelles frayeurs sous la Grande Terreur. Qui se préoccupe de savoir
que, mère de deux filles, elle les perdit toutes les deux prématurément ?
Le temps efface tout et deux siècles ont passé.
Reste
la peinture qui fut sa passion quoi qu’il advint. Son œuvre est peu connue car,
principalement portraitiste, elle vendit à des particuliers la plupart de ses
tableaux qui, s’ils existent encore, pendent ici ou là aux murs de demeures
ignorées. Il fallait bien vivre. Mais, ce que l’on peut en connaître
aujourd’hui, comme les appréciations élogieuses de ses contemporains et les
récompenses publiques qui lui furent décernées, révèlent une artiste d’une
grande finesse qui ne mérite pas l’oubli dans lequel elle est tombée.
Ce petit ouvrage s’efforce de rassembler tout
ce que l’on peut savoir aujourd’hui de cette femme sensible, dynamique, fidèle
en amour comme en amitiés, peintre avant tout, qui vécut toute sa longue vie
dans ce qui est l’actuel sixième arrondissement de Paris.
G.
D. W.
« J’espère
ne pas l’avoir desservie en mêlant ce qui aurait pu être à ce qui a
été. »
Henri Troyat
(Avertissement de
« La femme de David »)
Abréviations utilisées dans
le texte :
C.P. : Collection
privée : Le tableau existe aujourd’hui et appartient à une personne privée
dont l’anonymat est préservé.
A.F. : Archives de la
famille : Le document cité existe aujourd’hui et est conservé par les
descendants directs de Constance Charpentier.
Sommaire de la monographie de Constance Charpentier
1 - 1787 - La cour du Commerce
2 - L'apprantissage
3 - Du nouveau, Cour du Commerce
4 - Déceptions
5 - Vivre à coté de la Révolution
6 - Vivre malgré la Révolution
7 - Survivre sous la Terreur
8 - Premiers salons, premier encouragement
9 - 1801 - Fatigue, succès et tableau controversé
10 - Les salons de l'Empire
11 - Une médaille d'or
12 - Le dernier salon
13 - Trente ans
Epilogue
Annexe I : Généalogie sommaire : liens Blondelu, Charpentier, Danton, Gely, Gaultier de Claubry
Annexe II : Mentions diverses des tableaux de Constance Charpentier
Bibliographie
LA COUR DU
COMMERCE
Constance-Marie Blondelu est née à Paris le 4 avril
1767. Elle est la fille unique de Pierre-Alexandre-Hyacinthe Blondelu et de
Marie-Angélique Debacq.
Pierre-Alexandre-Hyacinthe
Blondelu est «marchand épicier à Paris» ainsi que le qualifie un jugement rendu
le 23 juin 1773 par le marquis de Boulainvilliers, prévôt de Paris, dans une
obscure affaire d'héritage disputé entre frères et soeurs
[1]
.
A cette génération, ils ne sont pas moins de dix-neuf enfants ! C’est une
famille bourgeoise et catholique. Le frère aîné de Pierre-Alexandre-Hyacinthe
est chanoine à la basilique de Noyon, dans l’Oise, là-même où, des siècles
auparavant, un certain Charlemagne a été proclamé roi puis, plus tard, Hugues
Capet couronné. Les racines de la
famille Blondelu issue de Moreuil, bourg de la Somme situé à une quinzaine de
kilomètres au sud-est d’Amiens, sont désormais pour l’essentiel à Noyon avec
des extensions dans l’Oise vers Brétigny, Catigny, La Neuville-en-Beine et même
jusqu’à Ham. Outre Jean-François Blondelu, le chanoine (1735-1806), on trouve à
Noyon à cette époque deux autres frères de Pierre-Alexandre-Hyacinthe, Nicolas
Blondelu (1728-1795) et Louis-Augustin Blondelu (1744-1812) curieusement dit
Beaulieu, ancien chartreux sorti de l’Ordre et qui se mariera plus tard avec
une jeunesse, et aussi une sœur, Marie-Anne-Geneviève Blondelu (1750-1823) qui
a épousé Thomas Gély (1736-1802). Ceux-ci ont une fille, Euphrosine-Marie-Anne
qui a 10 ans en 1787. Mais, en « montant » à Paris pour développer une
affaire de mercerie, le père, François Blondelu, et la mère, née Geneviève
Cochepin, de cette nombreuse famille, ont essaimé aussi dans la capitale où
deux autres sœurs de Pierre-Alexandre-Hyacinthe, Marie-Josèphe Blondelu et
Marie-Adélaïde Blondelu, ont épousé, l’une, Charles Blanvin et l’autre, Pierre
Bignot. N’allons pas plus loin dans une énumération qui deviendrait vite
fastidieuse et qui n’est donnée ici que pour citer ceux et celles qui, pour
être mentionnés par elle dans ses lettres, auront de l’importance dans la vie
de Constance-Marie. Il suffit de savoir que les liens entre les Blondelu
parisiens et ceux de Noyon sont solides et que, lorsque la fatigue de la ville
devient excessive, les parisiens filent chez les oncles, tantes et cousins ou
cousines de Noyon. Le calme du Noyonais et la chaleur familiale remettent les
choses en place.
Marie-Angélique
Debacq est née le 6 décembre 1740 à La Neuville-Roy, commune située à une
trentaine de kilomètres à l’ouest de Noyon, entre Saint-Just-en-Chaussée et
Compiègne. Les Debacq sont une famille bourgeoise qui possède des terres et des
fermes dans la région de La Neuville-Roy. C'est aussi une famille catholique. Le
frère de Marie-Angélique Debacq est curé de Montmartin, village situé à huit
kilomètres de La Neuville-Roy. La famille Debacq est alors nombreuse. On en
trouve jusqu’à Compiègne. Les séjours de détente côté Blondelu s’accompagnent
toujours de visites côté Debacq.
A
Paris, Pierre-Alexandre-Hyacinthe Blondelu a établi son magasin d’épicerie dans
la Cour du Commerce. Ce passage, dont une partie existe encore aujourd’hui,
avait été ouvert en 1735 puis prolongé en 1776. En 1787, il relie la rue des
Cordeliers, dont il dépend en matière d’adresses
[2]
,
à l’embranchement des rues Dauphine, Bussi et Saint-André-des-Arts. Bien d’autres
commerces y sont implantés au rez-de-chaussée des maisons d’habitation qui le
bordent. L’endroit est animé sans toutefois présenter les désagréments des
vieux quartiers de la rive droite envahis par le tohu-bohu de
l’approvisionnement de Paris débarqué sur les quais de la Mégisserie ou de la
Grève. On raconte qu’un troupeau de vaches, destiné à être abattu du côté de
Saint-Jacques-la-Boucherie, a échappé à ses gardiens et, dévalant les ruelles
encombrées, renversant étals et passants affairés, a fini sa course dans
l’église Saint-Eustache. Rien de tel n’est à craindre dans la Cour du Commerce.
Ce passage est apprécié des médecins qui trouvent avantage à sa proximité de
l’Académie de médecine de la rue des Cordeliers, des peintres qui ne s’y
sentent pas trop loin du Louvre, des agents du Palais de Justice, des
commerçants enfin. Tout un milieu bourgeois qui se connait, se rencontre, se
reçoit, discute et commente les évènements et ces idées nouvelles qui sont
agitées dans les cafés. Justement, on peut accéder au plus célèbre et au plus
couru d’entre eux, le Procope, par un accès arrière qui donne sur la Cour du
Commerce
[3]
.
C’est commode et les hommes de la Cour du Commerce en profitent pour s’y
retrouver sans avoir à courir loin du domicile familial.
Pierre-Alexandre-Hyacinthe
Blondelu est décédé en 1786
[4]
.
Le
commerce a été vendu mais n’a pas disparu. Marie-Angélique a conservé le
logement. Elle habite ainsi avec Constance-Marie « rue des Cordeliers, près
de l'épicier » comme le précise l'adresse d'une lettre conservée
[5]
.
Si, au-delà même de la tristesse de la séparation, il n’est jamais facile pour
une femme de se retrouver à quarante-six ans seule avec sa fille, elles ne sont
pas pour autant isolées. Pierre-Alexandre-Hyacinthe n’était pas seulement un
commerçant avisé. Avec Marie-Angélique, ils ont toujours pris une part active
au petit monde de la Cour du Commerce et développé des relations amicales avec
ceux et celles qui s’y trouvent. Il y a d’abord Marc-Antoine Gély, un cousin de
Thomas Gély (celui de Noyon), qui vit là avec son épouse, Marie-Jeanne Léger
Revel, et leurs trois filles Marie-Antoinette, Marie-Jeanne et
Louise-Sébastienne, la petite dernière née le 3 mars 1776. C’est la famille,
soutien précieux. Mais il y a aussi Jean-Baptiste Regnault, peintre reconnu
alors âgé de 33 ans, qui a séjourné à la villa Médicis avec Jacques-Louis David
et qui est membre de l’Académie des Beaux-Arts depuis 1782. Le jeune Louis
Lafitte, 17 ans, est alors son élève. Belle ouverture vers le monde de la
peinture. Ou encore Charles-François Bourjot, « officier de santé »,
qui n’est que l’une des nombreuses connaissances du ménage Blondelu dans le
milieu de la médecine. Ceux-là habitent Cour du Commerce
[6]
.
Mais,
de proche en proche, de rencontres en rencontres, de soirées en soirées passées
à commenter l’actualité ou, plus simplement, à jouer quand dehors il fait froid
et que les chandelles ménagent dans les intérieurs une lumière douce favorable
aux confidences, les Blondelu ont fait la connaissance, par exemple, de
Jacques-Louis David et de La Neuville, côté peinture, ou de Charles-Daniel
Gaultier de Claubry, côté médecine. Ce dernier est de leur génération. A 49
ans, sa réputation de gynécologue n’est plus à faire. Il a en son temps pris
part à la guerre de sept ans et a été promu, à 25 ans, « chirurgien,
aide-major des Camps et armées du Roy » ; puis il est devenu
« professeur dans l’art des accouchements »
[7]
.
Maître de chirurgie depuis 1782, il est membre de l’Académie de médecine et
« médecin de quartier » du comte d’Artois
[8]
.
De telles relations sont agréables, car il s’agit de personnalités au-dessus du
commun. Elles peuvent aussi être utiles, le cas échéant. Comme le fait d’être
amis avec un marchand épicier n’est pas sans désagréments pour les autres dans
ces temps où l’approvisionnement de Paris est souvent difficile. Heureusement,
tout n’est pas intérêt dans les relations amicales, mais un intérêt éventuel
n’y nuit pas forcément.
Constance baigne depuis vingt ans dans ce
milieu où l’on parle librement et sans contrainte. Les démêlés du Roi avec le
Parlement sont l’objet de discussions animées. Vu de la Cour du Commerce, le
pouvoir royal, confiné dans son château de Versailles, est bien loin. On comprend
que Louis XIV ait fait de son château l’outil politique parfaitement adapté à
son temps pour mettre un point final à la féodalité. Mais on estime que,
maintenant, le Roi est coupé de la réalité et que la cour est le siège de trop
de scandales, comme cette affaire du collier de la Reine qui a défrayé toutes
les chroniques deux ans auparavant. On se demande ce que le roi Louis XVI
et ceux qui l’entourent comprennent des idées agitées depuis près d’un
demi-siècle par les encyclopédistes, par un Voltaire, par un Rousseau. On sait
que les finances sont au plus bas et que la guerre faite à l’Angleterre pour
soutenir les insurgés américains en est la cause. Le Parlement, tout proche,
fulmine et les libelles politiques, satiriques, souvent haineux à l’égard de
Versailles foisonnent dans les rues. Dans ce milieu de la bourgeoisie aisée, on
s’efforce de démêler le sensé de l’excessif. Mais, tout de même, pense-t-on, ne
faudrait-il pas évoluer un peu ? On ne récuse pas le principe de la
monarchie et on reste fidèle à l’Eglise. Mais, décidément, tel qu’il est,
l’ordre régnant est bien pesant et, peut-être, dépassé. On sent que quelque
chose se prépare, mais quoi ?
Constance
entend tout cela mais elle ne l’écoute guère. Son esprit est ailleurs.
L’APPRENTISSAGE
Ce
matin du 5 avril 1787 le ciel est dégagé sur Paris. La température est douce.
La Cour du Commerce commence à s’éveiller. Constance embrasse rapidement sa
mère et sort. Un coup d’œil au ciel. Tout va bien, il ne pleuvra pas. D’un pas
pressé elle prend le chemin du Louvre. Elle a eu vingt ans la veille.
L’évènement a été fêté sobrement avec quelques amis invités pour l’occasion par
Marie-Angélique. On n’a pas vingt ans tous les jours. Constance est une fille
solide. Un visage rond, un nez qu’elle trouve un peu trop rond aussi, une
bouche bien dessinée, des yeux bruns et de beaux cheveux châtains retenus par
une écharpe hâtivement nouée lui donnent du charme. L’élégance est le cadet de
ses soucis. Elle a bien mieux à faire. Elle dévale la rue Dauphine et prend le
Pont-Neuf déjà encombré. Henri IV, du
haut de son cheval, contemple impassible le tohu-bohu de marchands de toutes
sortes, de charrettes, de gens à cheval et de voitures attelées qui se pressent
sans considération excessive pour les piétons. Il faut se glisser au milieu des
roues qui menacent à tout moment d’écraser le chaland distrait et tenter
d’éviter les immondices que personne ne songe à nettoyer. Peu importe. Constance
est légère et elle a l’habitude. La voilà quai de l’Ecole. Un coup d’œil au
passage. Il y a là, au n° 3, le café du Parnasse. Elle l’a remarqué depuis
longtemps car elle entend beaucoup parler de ces cafés qui se sont multipliés
dans Paris, à commencer par le Procope voisin du domicile familial. Elle sait
qu’à mi chemin entre le salon, spécialité de l’aristocratie et de la grande
bourgeoisie où le raffinement le dispute au persiflage, et le cabaret ou
l’estaminet où le tout-venant boit, chante et court la ribaude, les 600 cafés
de Paris sont les rendez-vous quotidiens des désoeuvrés, des beaux-parleurs,
des joueurs de dominos, de dames et d’échecs. Constance se garde bien d’y
mettre les pieds mais elle a remarqué que le Parnasse est surtout fréquenté par
les avocats et autres juristes, familiers du Palais ou du Vieux Chatelet, qui
viennent y déguster tasses de café, bavaroises au lait, limonade et autres
boissons rafraîchissantes en commentant les évènements du jour. Ce matin, il
vient à peine d’ouvrir sa porte. Le regard de Constance glisse. Déjà, le Vieux
Louvre apparait. Déserté depuis un siècle par la monarchie, il est en bien
mauvais état. Des artistes ont élu domicile dans la colonnade édifiée par
Perrault en face de l’église Saint Germain l’Auxerrois. Des tuyaux de poëles
sortent de la façade. Peu importe, c’est le temple de la peinture. Dans la
Grande Galerie qui longe la Seine se tient régulièrement l’exposition de
l’Académie de peinture et de Sculpture, le Salon. Jacques-Louis David y loge et
y a son atelier depuis que l’Académie, en 1781, a agréé à l’unanimité son
« Bélisaire ». C’est vers cet atelier que, ce 5 avril 1787, Constance
se hâte. Elle est l’une des élèves de David.
Pierre-Alexandre-Hyacinthe
et Marie-Angélique ont très tôt remarqué que leur petite Constance aimait
dessiner. Beaucoup d’enfants adorent se saisir d’une feuille et d’un crayon
pour y griffonner une maison, un arbre ou un bonhomme approximatif. Mais
Constance allait plus loin. Elle saisissait, bien maladroitement mais quand même,
un trait de lumière, une ombre, une couleur. Elle regardait et s’amusait à
tenter de reproduire ce qu’autour
d’elle on ne faisait que voir. Tout en assurant à leur fille l’instruction
indispensable, ses parents en parlèrent autour d’eux. Après tout, si Constance
avait des dispositions, pourquoi ne pas lui donner l’occasion de les faire
fructifier ? On leur indiqua l’école de dessin fondée par Johann Georg
Wille. Quand Constance avait dix ans, le maître avait 62 ans et son talent de
graveur, son goût pour la peinture et son entregent de marchand d’art l’avaient
fait reconnaître, depuis son installation à Paris en 1736, comme un artiste
incontestable. Il avait accepté de prendre en charge la fillette et de
développer chez elle ce qu’il avait reconnu comme un don naturel
[9]
.
L’apprentissage avait duré sept longues années. Et à 17 ans, Constance rêvait
de peinture. Le monde était-il en noir et blanc ? Avec ses parents
d’abord, avec des amies ensuite, elle se précipitait au Salon lorsqu’il ouvrait
ses portes. Elle était restée longtemps stupéfaite devant le
« Bélisaire » exposé par David au Salon de 1781. Elle avait été
bouleversée par l’Astyannax enfant de l’ « Andromaque » du même David au Salon de 1783. Elle
rencontrait fréquemment leur voisin, Jean-Baptiste Regnault, dont elle avait
admiré « L’éducation d’Achille » au Salon de 1783. Elle ressentait de
façon irrépressible, l’envie et, pour tout dire, le besoin de découvrir enfin
avec la peinture le jeu des ombres et de la lumière, les variations infinies de
la couleur et l’art de la composition. Il lui fallait autre chose.
Pierre-Alexandre-Hyacinthe
et Marie-Angélique l’encouragèrent. S’il l’acceptait, pourquoi ne pas tenter de
la faire entrer dans l’atelier de Jacques-Louis David dont la réputation
n’était déjà plus à faire ? Avec le soutien de Jean-Baptiste Regnault, qui
suivait d’un œil intéressé les progrès de Constance et qui appréciait chez sa
jeune voisine son enthousiasme et ce regard que seuls les artistes nés portent
sur les choses, et avec celui du vieux maître Johann Georg Wille qui estimait
ne plus rien avoir à apprendre à son élève en matière de dessin, cela ne fut
pas trop difficile. Au début de l’année 1784, Constance prit pour la première
fois le chemin du Louvre. A 17 ans, elle n’était pas la plus jeune. Un jeune
garçon de 14 ans, François Gérard,
venait d’y arriver. Et, une nouvelle fois, tout était à apprendre.
L’atelier
se trouve dans l’aile nord de la Colonnade. C’est une grande pièce, haute de
plafond et bien éclairée par une grande baie vitrée. Enfin, bien
éclairée ! A condition que la lumière du jour s’y prête, ce qui est
généralement le cas à la belle saison mais se fait souvent désirer en hiver où
fréquemment, à partir de quatre heures de l’après-midi, il faut allumer les
chandelles. Tout bascule alors. Les couleurs, les ombres et les clartés sont
bouleversées. Il vaut mieux s’arrêter. L’encombrement de l’atelier est
incroyable. Il peut y avoir jusqu’à trente élèves entassés sur les gradins
placés de chaque côté de l’estrade où se trouve le modèle vivant. La plupart
travaillent sur un grand carton posé sur les genoux. Quand on manie le fusain,
l’inconvénient n’est pas trop grand. Les choses deviennent difficiles lorsqu’il
s’agit d’avoir un chevalet et de peindre. Il faut alors s’imposer dans un
espace suffisant et le défendre. La bonne méthode est toujours d’arriver tôt.
Constance n’y manque jamais et a ainsi fini par avoir un coin à l’abri des
empiètements plus ou moins sournois de ses congénères. L’atelier est étouffant
en été et glacial en hiver. On y respire des odeurs de peinture, de vernis et
de tabac. Mais qu’importe ! Tous, garçons et filles dans leurs blouses
maculées et emmitouflés dans des lainages informes quand le froid est trop vif,
sont habités par la même passion, peindre avec talent, et ont la même ambition,
être reconnus comme de vrais artistes. David passe régulièrement dans
l’atelier, conseille, redresse ici une faute de perspective, là le modelé
maladroit d’une main, là encore une couleur imparfaite. Tout au moins quand il
n’est pas accaparé par ses propres travaux. D’octobre 1784 à août 1785, il a
même quitté Paris pour Rome où il a réalisé le « Serment des
Horaces », incontestable chef d’œuvre exposé au Salon de 1785 et qui a
forcé l’admiration. Pendant ce temps, les élèves ont continué à travailler et
le maître, à son retour, ravi du succès de son tableau, a repris ses conseils.
Constance a progressé. Et, maîtrisant de mieux en mieux l’aspect purement
technique de la peinture, elle a commencé à se lasser des sujets d’étude, des
ébauches de composition, des tableaux mis de côté à peine réalisés et des
portraits sans cesse recommencés. Elle a ressenti le désir de passer à autre
chose, de se surpasser.
Ce
5 avril 1787, Constance a pris sa
décision. Le problème est simple. Pour être connu, il faut exposer au Salon,
seule voie permettant d’attirer l’œil du public, voire de la Cour, et d’obtenir
des commandes. Pour exposer au Salon, il faut être agréé par l’Académie royale
de peinture et de sculpture. Pour être agréé, il faut la convaincre par un
tableau. Les grandes compositions relatant tel ou tel évènement de l’antiquité
grecque ou romaine sont la norme. Tous se plient à cette norme imposée. Il faut
donc s’y mettre. Constance a son idée. L’Astyannax de
l’ « Andromaque » de 1783 de David l’avait séduite. Elle va
reprendre le personnage mais, bien qu’encore jeune, Astyannax ne sera plus un
enfant ; ce sera le moment où Ulysse le trouve affligé devant la tombe
d’Hector. Constance pénètre dans le Louvre. Il n’est pas encore neuf heures.
Tout est calme. Il n’y aura personne dans l’atelier. Il va falloir agrandir son
espace réservé, y placer la grande toile, commencer tout de suite à grands
traits l’esquisse de la composition, mettre les autres devant le fait accompli
du début d’un long travail. Constance en tremble d’excitation.
Le café du
Parnasse de François-Jérôme Charpentier était au n° 3.
L’été 1787 est arrivé. Pas question pour
Constance d’aller à Noyon cette année. Astyannax l’occupe tout entière. On ira
prendre l’air de la campagne quand il sera achevé et reconnu. C’est ainsi qu’un
soir du début du mois de Juillet, Marie-Angélique raconte à Constance, qui
vient de rentrer du Louvre et s’acharne à nettoyer ses mains de la peinture qui
les recouvre, que de nouveaux venus ont emménagé dans un grand appartement de
six pièces au premier étage du n° 20 de la Cour du Commerce
[10]
.
Bien entendu, Marie-Angélique s’est renseignée. Charles-Daniel Gaultier de
Claubry passait par là en allant à l’Académie de médecine et lui a raconté ce
que lui avait appris l’un de ses collègues, Nicolas Papillon, cousin du marié,
qui avait été témoin au contrat de mariage des jeunes époux le 9 juin
précédent.
Constance
écoute distraitement le bavardage de Marie-Angélique. Elle est préoccupée. Elle
n’arrive pas encore à donner à son Ulysse une attitude convaincante.
Mais
Marie-Angélique est lancée : Il s’agit, dit-elle, d’un jeune avocat de 28
ans au Conseil du Roi, Georges-Jacques Danton, qui se ferait appeler D’anton.
Il parait que c’est exactement ainsi que le nomme le contrat de mariage. Pas
d’Anton, D’anton. Il doit faire cela pour faire bien au Conseil. D’ailleurs, ajoute Marie-Angélique avec un
sourire, l’habitude se prend. Même le Claubry de notre ami Charles-Daniel
n’est que le nom ajouté d’une propriété familiale du côté de Blois et ne
signifie aucun ennoblissement, ce qui n’enlève rien à ses mérites. Bref, il
sait tout de ce Danton ou D’anton. Il
est né le 26 octobre 1759 à Arcis-sur-Aube, un simple village à un peu plus de
trois lieues au nord de Troyes. Il est arrivé à Paris en 1780 et a été clerc
pendant 4 ans dans l’étude de Me Vinot, procureur au Parlement, rue
Saint-Louis-en-l’Ile, qui le logeait et le nourrissait. Il y a appris le droit
et est allé, en 1784, passer sa licence à Reims où elle est plus facile à
décrocher. Revenu à Paris, il a vivoté. Il parait, souligne Marie-Angélique
avec un sourire, qu’il a habité rue des Mauvaises Paroles, juste
derrière Saint Germain l’Auxerrois. Pour un avocat … Il serait entré, l’année dernière à la Loge des
Neuf Sœurs. Mais, surtout, il a fréquenté depuis son retour à Paris le café du
Parnasse, quai de l’Ecole.
[11]
Constance
dresse l’oreille. Tiens, le café du Parnasse devant lequel elle passe matin et
soir.
Du coup, voyant l’intérêt de Constance se
renforcer, Marie-Angélique devient intarissable : Le propriétaire du
café est un certain François-Jérôme Charpentier qui n’est plus de toute
première jeunesse puisqu’il est né en 1724. C’est un contrôleur des fermes qui
a pris en 1773, par on ne sait quelles circonstances, l’état de marchand
limonadier. Les clients de son café l’apprécient, parait-il
[12]
.
Il a épousé une Angélique-Octavie Soldini, d’origine italienne. Ils ont trois
enfants : un fils, Antoine-François, qui est clerc de notaire rue de
l’Arbre Sec qui donne dans le quai de l’Ecole ; une fille,
Antoinette-Gabrielle, qui a 27 ans et tient le comptoir ; et un fils,
François-Victor, qui a 26 ans et est, semble-t-il, négociant. Il doit aider son
père. Bref, Georges-Jacques Danton a trouvé la maison et la fille à son goût et
lui-même n’a pas déplu à l’une et à l’autre. Alors les Charpentier lui ont
avancé 15000 livres grâce auxquelles il a pu acheter une charge d’avocat au
Conseil du Roi
[13]
, dont
le siège est rue de la Tisseranderie derrière l’hôtel de Ville. Et ils ont
accordé la main de leur fille Antoinette-Gabrielle au jeune avocat. Le contrat
de mariage a été signé le 9 juin. Le bonhomme Charpentier n’est pas fou :
les 15000 livres sont comprises dans la dot. Le mariage religieux a eu lieu le
14 juin à Saint Germain l’Auxerrois. Il y avait, parait-il du beau monde :
du côté du marié, en dehors des membres de sa famille, Nicolas Papillon ;
du côté de la mariée, ses deux frères, plusieurs cousins, et une certaine
Françoise-Angélique Hébert, veuve d’Hubert Taraval, peintre ordinaire du
Roi ; et bien d’autres, deux conseillers du Roi, un procureur, un avocat
au Parlement … Ce fut, semble-t-il un beau mariage.
Marie-Angélique
fait une pause, un peu essoufflée. Constance note que cette famille Charpentier
semble avoir des relations dans le monde de la peinture.
Marie-Angélique
reprend : Ton oncle Marc-Antoine Gely m’en a parlé aussi. Tu sais qu’il
est huissier-audiencier au Palais. Il a eu l’occasion de rencontrer le jeune
avocat. Ils se sont vus plusieurs fois au café du Parnasse et ont sympathisé.
Quand il a appris le mariage et que le jeune ménage cherchait un logement,
l’oncle Gely a indiqué que celui du premier étage du n°20 était libre.
L’affaire s’est faite pour neuf ans non sans que le propriétaire ait pris de
solides assurances du côté Charpentier. Car le marié, en dehors de sa charge,
n’a rien.
Puis,
elle conclut : Charles-Daniel m’a dit, sur la foi de ce que lui a raconté
Papillon, que les Charpentier forment une famille solide et unie. L’aîné
reprendra certainement l’étude notariale où il est clerc. Antoinette-Gabrielle
est douce et avenante. Et le dernier, François-Victor, est un beau garçon
cultivé et plein d’entregent. Quant à Danton, son visage a été déformé par un
accident quand il était enfant, mais c’est un colosse qui parle beaucoup, avec
feu et une conviction qui fait oublier sa laideur. Voilà ce que je sais. Il
valait mieux que tu le saches car nous serons inévitablement appelées à les
connaître. La Cour du Commerce n’a pas l’habitude d’ignorer les nouveaux
arrivants.
Constance,
dont l’esprit s’est à nouveau égaré du côté d’Ulysse, acquiesce sans
conviction.
Constance
est déçue. Elle avait tant travaillé. Mais Jacques-Louis David se contente de
sourire et de lui rappeler qu’il lui avait fallu s’y reprendre à quatre fois,
en 1771, 1772, 1773 et 1774 pour obtenir le prix de Rome et que son éviction en
1772 n’avait été que le résultat d’une cabale subalterne destinée à faire passer deux autres élèves
mieux en Cour
[14]
. Quand
il évoque ces souvenirs, les yeux de Jacques-Louis David étincellent et il jure
que, tôt ou tard, il se vengera de cette Académie royale confinée dans des
règles dépassées et qui empêche les jeunes artistes de présenter au public les
fruits de leur talent sans être passés sous les fourches caudines de sa
sélection. Il enrage. Ses élèves connaissent bien ces accès de fureur. Ils
approuvent le souhait du maître de faire sauter le verrou de l’Académie afin
d’avoir accès sans restrictions au Salon. Mais cela parait tellement
improbable.
Constance
se remet donc au travail. Elle a réfléchi à un autre sujet. Il doit être
exemplaire, c’est-à-dire non seulement avoir une facture picturale inattaquable
mais aussi illustrer un grand exemple d’humanité. Alexandre pleurant la mort de
la femme de Darius, son plus grand ennemi, voilà un bel exemple de magnanimité
de l’un des hommes les plus illustres de l’histoire de l’humanité. Elle s’y
attaque. Son coin d’atelier ne lui est plus contesté. On s’est habitué, dans
l’atelier de Jacques-Louis David, à voir ce bout de femme devant sa grande
toile se battre dans les affres de la création artistique. A deux pas, le jeune
François Gérard, qui, en 1788, a maintenant 18 ans, se bat aussi et ambitionne
de décrocher le prix de Rome. Son talent est évident. Ils se surveillent du
coin de l’œil et plaisantent entre deux efforts.
« Alexandre
pleurant la mort de la femme de Darius » n’a pas plus de succès que le
premier tableau de Constance. Certes, on lui reconnait un grand style, mais les
coloris sont jugés un peu agressifs.
[15]
Toujours
un succès d’estime mais point d’agrément de l’Académie et donc point de Salon.
[16]
Constance,
malgré sa grande volonté, n’a pas l’obstination d’un Jacques-Louis David. Son
double échec l’a marquée. Elle entre alors dans une longue période de repli.
Elle ne se sent plus la force ni même l’envie de repartir à l’assaut d’un
problématique agrément de l’Académie. Elle sent, au fond d’elle-même, qu’elle
est plus à l’aise dans l’art du portrait que dans ces grandes compositions
d’antiques, artificielles et, pour tout dire, assez convenues. Enfin, la Cour
du Commerce retient de plus en plus son attention et les circonstances vont
l’entraîner dans des voies imprévisibles.
Le ménage de Georges-Jacques et Antoinette-Gabrielle
Danton a été bien accueilli par le petit monde de la Cour du Commerce et en est
même rapidement devenu le centre. Pendant son enfance et sa jeunesse,
Antoinette-Gabrielle a été habituée à recevoir aimablement les habitués du café
du Parnasse. Son père, François-Jérôme Charpentier s’est débarrassé de la
charge de cet établissement en 1788
[17]
mais habite toujours quai de l’Ecole avec son épouse Angélique-Octavie. Quand
ils ne sont pas dans leur maison de Fontenay, le trajet entre le quai de
l’Ecole et la Cour du Commerce est vite fait et les visites à leur fille sont
d’autant plus fréquentes qu’Antoinette-Gabrielle est rapidement enceinte. Ce
qui ne l’empêche pas de multiplier ces réunions amicales de l’après-midi ou du
soir qui faisaient alors les charmes de la vie en société. Ses parents sont
souvent accompagnés par leur fils François-Victor qui, à 27 ans, promène avec
nonchalance un regard amusé sur ce qui l’entoure, et par leur fils aîné
Antoine-François que le sérieux avec
lequel il assume ses fonctions de clerc de notaire rend parfois un peu ennuyeux. Les Charpentier font
ainsi connaissance des Gely et de leurs trois filles, de Constance et de sa
mère, et de tous ceux du monde de la peinture et de la médecine qui font les
beaux jours de la Cour du Commerce. Dès qu’Antoinette-Gabrielle a été enceinte,
on n’a pas manqué de lui indiquer qu’on avait sous la main un « professeur
dans l’art des accouchements ». Charles-Daniel Gaultier de Claubry passe
donc régulièrement surveiller l’état de la future mère.
De
quoi discute-ton ? De tout. De
peinture lorsque Regnault, La Neuville et même quelquefois David sont là.
Constance, avec le feu de ses 21 ans raconte ses efforts, ses déceptions. On
brocarde l’Académie. Puis on s’égare vers la technique. Antoine-François
Charpentier baille discrètement. François-Victor, lui, est sous le charme de
Constance et fait tout pour attirer son
attention.
Quand Georges-Jacques Danton arrive, après
avoir embrassé avec fougue Antoinette-Gabrielle, il enchaîne sur la politique.
Cet homme a le don de retenir l’attention. Il parle des finances désastreuses
du royaume, du rappel de Necker, des hésitations de Versailles, de Philippe
d’Orléans, des prochaines élections aux Etats-Généraux. A bien y réfléchir, on
ne sait trop où il veut en venir. Mais il fascine. Cette fois, pourtant, c’est
Constance qui baille discrètement. La politique l’ennuie, sauf lorsqu’il s’agit
de l’Académie mais ce n’est pas le propos de Danton. François-Victor sourit.
Et
quand la discussion fait mine de languir, les jeux reprennent. Constance
retrouve son entrain. Marie-Angélique et Angélique-Octavie papotent.
François-Jérôme s’assoupit dans son fauteuil. On ne rentre quand même pas trop
tard chez soi. Marie-Angélique et Constance n’ont pas loin à aller. Les Gely
non plus. C’est plus loin pour les Charpentier mais François-Victor est là pour
leur éviter tout avatar entre la Cour du Commerce et le quai de l’Ecole.
Malgré
les soins de Charles-Daniel, le premier fils des Danton meurt le 24 avril 1789.
A l’époque, le décès des enfants en bas âge est malheureusement une chose
tellement courante que les chagrins ne sont pas de très longue durée. Les
parents pensent au suivant.
De
nouvelles têtes apparaissent dans le petit cercle. Camille Desmoulins, avocat
efflanqué et bègue de surcroît, membre comme Danton de la loge des Neuf Sœurs,
présente un jour sa fiancée, Lucile Duplessis, dix ans plus jeune que lui.
Antoinette-Gabrielle et Lucile deviennent vite inséparables. Danton amène
parfois un ami d’enfance, Jules Paré, maître-clerc d’un avocat aux Conseils, ou
encore Philippe Fabre, curieux bonhomme aux propos souvent surprenants, qui se
fait appeler Fabre d’Eglantine et qui est l’auteur d’une chanson qui court les
rues et où il est question de la pluie et d’une bergère. Il parle parfois d’un
médecin de sa connaissance, Jean-Paul Marat, qui a été médecin des suisses du
Comte d’Artois pendant six ans
[18]
et qui habite la maison qui est à l’angle de la rue du Paon et de la rue des
Cordeliers
[19]
. Un
voisin.
Constance
et sa mère regardent avec un peu d’étonnement se transformer le calme petit
cercle auquel elles étaient habituées. Mais les bruits du dehors rapportés par
ces nouveaux venus ne les inquiètent pas outre-mesure. Antoinette-Gabrielle est
à nouveau enceinte et Charles-Daniel la surveille.
Pourtant,
les dés roulent. A Versailles, les Etats-Généraux réunis par le Roi ont tourné
à son désavantage. Une Assemblée Nationale s’est créée. A Paris, une émeute
populaire a pris et détruit la Bastille. La tête de son gouverneur, trophée
sanglant, a été promenée dans les rues au bout d’une pique, pas dans la Cour du
Commerce heureusement. En quel siècle vit-on ? Toute cette violence … Mais
quoi, les hommes disent que c’est un mal nécessaire pour changer en bien les
choses. C’est ce que dit François-Victor. A l’atelier, Jacques-Louis David est
enthousiaste et veut entraîner son monde dans un ralliement actif à ce qu’il
présente comme l’avènement d’une ère nouvelle. Il veut des gestes concrets.
Alors, le 7 septembre 1789, vingt-et-une épouses de peintres se rendent en
députation à Versailles pour remettre solennellement leurs bijoux sur le bureau
de l’Assemblée. Celle-ci décide d’inscrire leurs noms au procès-verbal de la
séance.
[20]
Constance, qui ne voit pas très bien l’utilité de la chose et redoute un peu
les manifestations publiques, n’en n’est pas. D’ailleurs, elle n’a pas de
bijoux. Elle reste Cour du Commerce.
Que
faire ? L’atelier de David est en plein remue-ménage. On y discute plus
que l’on y peint. François Gérard a échoué pour le prix de Rome. L’Académie est
décidément intraitable. Il se remet à la tâche. Constance regarde avec une
admiration teintée d’envie ce jeune homme de 19 ans qui, en dépit de son
premier échec, arrive à faire des choses qu’elle ne parvient pas elle-même à
réaliser. Mais l’effervescence ambiante la gêne. Dans les rues, c’est
l’agitation. Constance ne va presque plus à l’atelier. Elle entreprend
paisiblement et à domicile son premier portrait ; celui de sa mère,
Marie-Angélique.
[21]
Un
visage rond, comme sa fille. Un sourire serein. Une femme d’intérieur dans une
cape confortable et les cheveux recouverts par une de ces parures de l’époque
en dentelles et rubans.
Les
dés roulent encore. Vu de la Cour du Commerce, tout se mélange. Danton n’est
pas souvent là le soir. Il fréquentait depuis un bon moment le club des
Cordeliers qui se réunissait alors rue Dauphine. Il vient d’en être élu
président. François-Victor raconte : la présence du Roi et de la Reine au
banquet du régiment des Flandres appelé à Versailles a été brocardée par la
presse parisienne – la fidélité aurait été jurée au Roi et non à la nation, des
cocardes tricolores auraient été foulées aux pieds. Danton a appelé les
parisiens à prendre les armes. Une affiche en ce sens a été placardée sur les
murs. Et les 5 et 6 octobre 1789, une foule guidée par des agitateurs est allée
à Versailles, a massacré les gardes et a ramené à Paris la famille royale dont
la voiture était encadrée par des porteurs de piques ornées des têtes des
gardes. Danton n’y était pas et a été délégué par les Cordeliers pour aller
remercier le Roi d’être revenu au milieu de son peuple. Il nage dans toute
cette eau trouble. François-Victor explique que ces violences sont regrettables
mais que l’Assemblée désormais constituante revient elle aussi à Paris, que de
nouvelles institutions vont voir le jour et qu’elles seront plus équilibrées
maintenant que les privilèges ont été abolis. Bon. Mais tout cela change si
vite que l’on a bien du mal à se faire une opinion. Même Charles-Daniel, libéré
de ses fonctions auprès du Comte d’Artois qui a déguerpi dès le 16 juillet
1789, s’est lancé dans l’action et a été élu à la Commune Provisoire
autoproclamée de Paris. Il est en quatrième position pour le district de
Saint-Honoré, quartier du Palais-Royal, derrière un ancien marchand, un notaire
et un ancien procureur du Châtelet.
[22]
De passage Cour du Commerce, il explique que, de toute évidence, l’ordre ancien
de la Monarchie absolue a volé en éclat et qu’à 51 ans il veut participer à ce
qui va se mettre en place, tout au moins à Paris, même si l’on ne voit pas très
bien encore vers quoi tout cela entraîne. Bon. En attendant, « le
professeur dans l’art des accouchements » veille à la venue au monde
d’Antoine, deuxième fils des Danton. L’enfant est baptisé le 18 juin 1790 à Saint
Sulpice. En sortant de l’église, Antoinette-Gabrielle accroche à la robe de
baptême de leur fils une cocarde tricolore et on dit que son père a affirmé que
ses premières paroles seraient « Vivre libre ou mourir ». Cet homme
fait flèche de tout bois et occupe tout l’espace. Constance et Marie-Angélique
sont prises dans le mouvement. Tout se passe si bien Cour du Commerce. Sans que
l’on sache très bien d’où Danton tire ses revenus
[23]
,
on ne peut que constater l’amélioration de son train de vie.
Antoinette-Gabrielle en est ravie. Les 14 ans de la petite Louise-Sébastienne
Gely adorent s’occuper d’Antoine. Les habitués, auxquels se joint de plus en
plus fréquemment un ami de François-Victor, Claude-Etienne-François Dupin,
rivalisent d’entrain. Et comme Georges-Jacques Danton a quand même des temps
libres, Constance entreprend son portrait
[24]
,
tandis que Jacques-Louis David lui-même fait celui d’Antoinette-Gabrielle
[25]
et que La Neuville fait ceux de Marie-Madeleine Camut, mère de Danton, et de la
sœur de celle-ci, Mme Menuel
[26]
.
Mais
Constance est décontenancée. Tout se mêle. A côté du petit monde de la Cour du
Commerce où tout va bien, des changements surprenants sont perceptibles. Rien
que dans la rue des Cordeliers, l’église Saint-Cosmes-Saint Damien a disparu,
transformée en atelier de menuiserie. Le Collège des Prémontrés est supprimé et
vendu par lots. Et l’Assemblée a voté un décret supprimant les congrégations
régulières. La religion est attaquée de toute part. Les prêtres doivent prêter
serment à la Constitution. Cela n’empêche pas les Danton de tirer les rois le 6
janvier 1791, sous les sarcasmes, il est vrai, de Marat passé par là justement
ce jour là.
Constance
écoute les uns et les autres, tantôt gaie tantôt désemparée. Charles-Daniel n’a
pas été élu, le 16 septembre 1790, pour faire partie des 144 notables – c’est
le terme alors employé – devant composer le Conseil général de la commune de
Paris. Ce qu’il a vu et entendu lui suffit ; il renonce à toute action
politique. Danton a échoué aux élections de la nouvelle municipalité et à
celles de procureur, de 1er substitut et de 2ème substitut du procureur. Il a bien été élu au Conseil Général mais il a été
ensuite écarté par 42 sections sur 48. Il est furieux. Mais, il laisse entendre
qu’il est entré au directoire secret des Jacobins et que son influence ne fait
que se renforcer. Que comprendre à tous ces jeux politiques ?
Antoinette-Gabrielle
se laisse emporter par la force de son époux. Lucile a épousé Camille
Desmoulins le 26 décembre 1790. Les deux ménages sont intimes et, en ces
premiers mois de l’année 1791, Antoinette-Gabrielle n’en finit pas de raconter
aux uns et aux autres comment Georges-Jacques, après avoir fait racheter sa
charge par l’Etat, a su placer cet argent dans de la bonne terre à
Arcis-sur-Aube.
[27]
Il
s’agit, certes, au moins en partie, de biens d’Eglise vendus comme biens nationaux.
Cela ne choque pas les parents
Charpentier, ni Antoine-François, ni François-Victor. Marie-Angélique et
Constance, de leur côté, savent que Danton est bien loin d’être le seul à le
faire. Même leur frère et oncle Blondelu, le bon chanoine de la cathédrale de
Noyon, n’a pas hésité à se porter acquéreur dans cette ville d’une maison
provenant de biens d’église
[28]
.
Il n’est pas le seul : Nicolas Blondelu a, lui aussi, acquis des terres du
chapitre de Noyon situées à Sermaize, village situé à 5 kilomètres de la ville.
Et Louis-Augustin Blondelu a acheté la maison canoniale du 12 rue de Gruny, à
deux pas de celle du chanoine.
[29]
Alors, pourquoi diable – pardon - pourquoi mon Dieu y voir malice ?
Mais
Constance a du mal à surnager dans le tourbillon qui l’entoure. Marie-Angélique
aussi. Elles n’ont pas tellement d’a
priori politique mais elles aiment les situations plus calmes et plus stables.
Constance n’est pas insensible à l’attention que lui porte François-Victor. Il
ne l’a pas dit mais penserait-il au mariage ? Après tout, elle a 24 ans, il sait être
charmant et, disons le, il y a de
l’attirance entre eux. Mais il navigue, on ne sait trop comment ni pour quoi
faire réellement, dans tout ce tohu-bohu. Il y a matière à hésitation. Alors,
il y a des hauts et des bas dans le moral de Constance. Elle fait quand même
son portrait, « brave homme à la figure ronde, l’air bon enfant, revêtu
d’un gilet rouge et qui écrit à son bureau ».
[30]
Mais le cœur n’y est pas vraiment car, qu’il s’agisse de celui de Danton ou de
celui de François-Victor, ce sont des portraits de complaisance. Ce n’est pas
cela qui va la faire connaître du public. Or c’est cela qui la hante et son
impuissance du moment pour atteindre ce but l’accable. Bref, Constance est dans
une mauvaise passe.
Mme Blondelu, née Angélique Debacq, mère de Constance Charpentier.
Constance Charpentier (C.P.)
Les dés roulent toujours. Le 21 juin 1791, la
famille royale a tenté de fuir et a été arrêtée à Varennes. Le retour à Paris a
été terrible et l’échauffement des esprits s’est encore renforcé. Le Roi est
maintenant bel et bien prisonnier aux Tuileries. Beaucoup pensaient à une
accalmie, voire à la fin de la Révolution. L’Assemblée rédige une Constitution
qui ne met pas fin à la monarchie. Mais, maintenant, les discussions sont
orageuses sur le point de savoir ce qu’il faut faire du Roi.
Même
Cour du Commerce, les avis sont partagés et on en discute sans trop savoir si
on a tous les éléments pour opiner avec pertinence. Constance est excédée et
angoissée. Elle ne supporte plus ces tensions. Elle part avec Marie-Angélique
pour Noyon. Là aussi, il y a de l’agitation. L’oncle Thomas Gely, lui-même, est
entré au conseil municipal. Mais les esprits sont moins échauffés qu’à Paris. L’oncle
chanoine a certes refusé, comme beaucoup de prêtres de Noyon, de prêter le
serment exigé par le décret du 26 novembre 1790 relatif à la Constitution
civile du clergé mais des accommodements locaux permettent encore aux prêtres
insermentés de célébrer les offices et aux fidèles d’y assister
[31]
.
Et avec la bonne tante Marie-Anne-Geneviève, on peut encore vivre des journées paisibles, se promener à
l’air pur et se retrouver soi-même.
A
Paris, l’Assemblée constituante vote le 15 juillet 1791 un décret qui confirme,
peu ou prou, l’inviolabilité royale. Elle ne veut pas de la république.
Philippe d’Orléans a renoncé de lui-même à la régence le 26 juin précédent.
L’idée d’une régence par son fils, le Comte de Chartres
[32]
,
traine dans les esprits, y compris celui de Georges-Jacques Danton. Mais aux
clubs des Jacobins et des Cordeliers, il en va autrement. On veut forcer
l’Assemblée à décider la déchéance de Louis XVI. Une commission, dont Danton
fait partie, est désignée pour rédiger une pétition exigeant de l’Assemblée
qu’elle revienne sur son décret et qu’elle pourvoit au remplacement du Roi. Une
épreuve de force s’annonce entre l’Assemblée et la rue. Et c’est le drame du
Champ-de-Mars. L’Assemblée, effrayée par
les mouvements de foule, demande à la Commune de maintenir l’ordre public. Au
Champ-de-Mars, six mille personnes environ se pressent autour de l’autel de la
fête de la Fédération pour signer la pétition. La garde nationale de La Fayette
interrompt la signature mais garde son calme après la provocation d’un coup de
feu parti d’on ne sait d’où. Mais les troupes envoyées par la Commune, drapeau
rouge de la loi martiale en tête, arrivent alors et réagissent à une
provocation identique en ouvrant le feu sur la foule. On dénombre environ 50
morts. Danton n’était pas au Champs-de-Mars. Il avait été averti de la
possibilité d’une répression, notamment par François-Victor qui est décidément
au courant de bien des choses.
[33]
On fait comprendre au tribun qu’il serait prudent pour lui de prendre un peu le
large. Alors, il signe à Antoine-François Charpentier, désormais notaire en
titre de son étude, une procuration pour faire tout le nécessaire pour sa
famille et file à Fontenay, d’abord, chez ses beaux-parents, puis à
Troyes ; il poursuit sur Arcis-sur-Aube. Un décret de prise de corps est
pris à son encontre le 4 août 1791. Il passe en Angleterre laissant derrière
lui femme et enfant dans une Cour du Commerce désorientée.
Antoinette-Gabrielle,
qui est à nouveau enceinte, découvre brusquement que la politique, par ces
temps troublés, peut être dangereuse. Elle se met à trembler. Elle tremble avec
Lucile car Camille Desmoulins a du, lui aussi, se mettre au vert.
François-Victor a une vue peut-être moins épidermique de la situation. Après
tout, l’Assemblée a dominé la situation et est restée ferme sur une position
que la plupart de ses membres estime sage. Elle arrive en plus au terme de son
mandat qu’elle estime avoir bien rempli. En fin de compte la situation de
Georges-Jacques Danton n’est peut-être pas aussi dramatique que sa fuite
pourrait le suggérer.
Le
18 août 1791, François-Victor écrit à Constance qui, loin des turbulences
parisiennes, a retrouvé sa joie de vivre et le lui a fait savoir :
« Votre lettre a été lue en présence de tous
les membres de la société. Toutes les oreilles étaient attentives ; toutes les
figures peignaient la satisfaction. Votre style enjoué nous a rassurés sur vos
malheurs en faisant disparaître toute idée de danger. Et le récit de tous ces
évènements n'a laissé dans notre esprit que le souvenir des grâces du vôtre.
L'intérêt
que vous avez bien voulu me marquer pour ma soeur me fait espérer que vous
n'apprendrez pas avec indifférence que tous les bruits qui se répandent sur le
compte de son mari ne sont que l'ouvrage de ses nombreux ennemis. Ils mettent
en usage une calomnie active pour le perdre dans l'opinion publique ; mais tous
leurs efforts seront sans succès. Le patriotisme renait avec les Lumières ; et
les intrigants seront forcés encore une fois d'aller cacher leur honte dans
l'ombre où ils forment leurs complots.
Tout
est calme ici ; mais ce calme ressemble à celui qui précède l'orage ; nous ne
pourrons compter sur la tranquillité que lorsque la Constitution sera
fonctionnée et bien affermie.
Dupin
m'a prié de vous présenter ainsi qu'à Made. votre mère, l'hommage de son
respect.
Agréez
toutes les deux, je vous en supplie, les assurances du mien.
P.S.
Si les paquets que vous attendez ne vous sont pas parvenus, lorsque vous
recevrez celui ci, chargez moi du soin de les faire retrouver ; je n'épargnerai
point ma peine ; et je serai entièrement à vos ordres.
F.V. Charpentier ».
[34]
Le
26 août 1791, François-Victor récidive :
«
La société n'a jamais été aussi exacte à se réunir que depuis votre départ ; il
semble que chacun vient y chercher un dédommagement de votre absence ; que tous
ont besoin les uns des autres pour la supporter; et que s'ils n'ont pas l'espérance
de vous y voir, du moins ils ont celle d'y apprendre de vos nouvelles. Vous
êtes souvent l'objet de la conversation ; et nous attendons avec impatience le
moment où vous pourrez y prendre part.
L'assemblée
nationale a supprimé le privilège exclusif à la faveur duquel MM. de l'Académie
de peinture rejetaient du Salon, les chefs d'œuvre des artistes qui n'avaient
pas l'honneur d'être académiciens ; et il a été décrété que tous les peintres,
sans distinction, auraient le droit de concourir à l'exposition des tableaux au
Salon qui sera ouvert, à cet effet le 8.7bre prochain. Ce décret sera le plus
beau que nos législateurs ayent rendu jusqu'à ce jour, s'il peut accélérer
votre retour.
Dupin
m'a bien recommandé de vous engager à faire une provision de petits jeux pour
nos soirées d'hiver; pour moi je pense qu'il suffit que vous y apportiez
toujours le même esprit et le même enjouement.
Agréez,
je vous prie, pour Made. votre mère et pour vous, de la part de Dupin et de la
mienne les nouvelles assurances de notre estime et de notre attachement
respectueux.
F.V.
Charpentier. ».
[35]
Son équilibre rétabli, Constance doit bien
reconnaitre qu’elle n'est pas insensible aux avis de ce garçon de trente ans
qui ne se cache pas de lui faire une cour aussi assidue que courtoisement
exprimée. Elle constate que, le 21 août 1791, l'Assemblée Constituante a bien
pris le décret annoncé par François-Victor. Désormais, « Tous les artistes
français et étrangers, membres ou non de l'Académie de peinture et de
sculpture, seront admis à exposer». Voilà, enfin, la libération attendue. Elle
va pouvoir peindre comme elle l’entend et exposer ses tableaux. C’en est fini
de l’obstacle de l’Académie. Cela, c’est vraiment bien. Et comme, le 3
septembre 1791, la Constitution est adoptée par l'Assemblée, elle se laisse
convaincre que la tranquillité va revenir. Revigorée, rassurée, enthousiaste à
l’idée du travail qui l’attend, Constance, toujours accompagnée de sa mère,
rentre à Paris et retrouve la Cour du Commerce. L’une et l’autre ne peuvent
imaginer que le pire est à venir.
Les
dés n’en finissent pas de rouler dans un fracas de plus en plus assourdissant
et les répercutions de l’enchainement des évènements politiques sur le petit
monde de la Cour du Commerce pendant les terribles années 1792, 1793 et 1794
sont telles que l’on ne peut pas ne pas en rappeler la trame que
Georges-Jacques Danton, le grand homme de ce petit monde, contribue, parfois de
façon essentielle, à tisser.
Deux
naissances et un décès.
Passe
l'Assemblée constituante, arrive l'Assemblée législative le 1er octobre 1791.
Georges Danton n'a pas réussi à s'y faire élire. Dépité, il part à Arcis-sur-Aube
avec Antoinette-Gabrielle, enceinte, et leur fils Antoine. Il y joue le rôle du
notable - on parle de ce « bon Monsieur Danton ». Est-ce seulement un rôle ou une
part de lui même ? Il fait encore des achats de terres. Dans ces moments-là,
Danton est un bourgeois qui s'emploie à faire fructifier les revenus que
l'autre part de lui même a acquis de façon peu avouable.
Mais
quand on est Danton, on ne peut se satisfaire longtemps d'une retraite à trente
deux ans. De retour à Paris début décembre 1791, poussé par ses amis
politiques, il est élu second substitut du procureur syndic de la Commune. Ses
interventions au club des Jacobins sont aussi tonitruantes que contradictoires.
Ainsi, le 12 décembre 1791, il prend position contre l'idée d'une déclaration
de guerre aux monarchies européennes coalisées et, le 14 décembre 1791, se
rétracte et prend position en faveur d'une guerre dont les terribles
conséquences seront, notamment, l'insurrection vendéenne et son cortège
d'horreurs
[36]
. Danton
siège désormais à la Commune. Sa stature de tribun lui assure inimitiés et
amitiés. Il profite de ces dernières pour en tirer au passage quelques
avantages pour lui-même et pour ceux qui lui sont proches. Au début de l’année
1792, il fait entrer François-Victor Charpentier dans les services
administratifs de la Commune en qualité d’ « employé de l’agent
national de la Commune » et l’huissier-audiencier Marc-Antoine Gely dans
les services de la marine vraisemblablement mieux rémunérés.
[37]
Le
2 février 1792, Antoinette-Gabrielle met au monde un troisième enfant, un
garçon prénommé François-Georges. Baptisé à l'église Saint-André-des-Arts, il
est mis en nourrice à l'Isle-Adam avec le premier enfant de Camille et Lucile
Desmoulins. Danton est opportuniste et sans scrupules excessifs en politique
mais, en privé, il n'est pas sectaire sur le plan religieux.
Le
rythme des évènements s'accélère. Passons sur l'affaire des Tuileries du 20
juin 1792 et sur celle du manifeste de Brunswick du 25 juillet 1792
[38]
.
Arrive le 10 août 1792. Après la nuit fiévreuse du 9 au 10 août au cours de
laquelle Antoinette-Gabrielle, sans nouvelle de lui, se ronge les sangs au
point de courir se réfugier chez Lucile Desmoulins pendant la journée du 10,
Danton rentre chez lui le soir du 10 août. En dépit de la confiance de la Cour
- Mme Elisabeth disait encore le 25 juillet: « Nous sommes tranquilles, nous
pouvons compter sur Danton » - il n’a rien fait pour empêcher les affrontements.
Il estime néanmoins avoir sauvé le Roi à défaut d'avoir sauvé la royauté. En
fait, le Roi est suspendu et Danton triomphe. Il est nommé ministre de la
justice dans le cadre du Conseil exécutif provisoire dont il est l'homme fort.
Le voilà à l'Hôtel de la Chancellerie, place Vendôme.
Antoinette-Gabrielle
quitte la Cour du Commerce pour l'Hôtel de Vendôme. Louise-Sébastienne Gely
s’occupe d’Antoine. La Cour du Commerce est partagée entre l’horreur des
massacres des Tuileries et cette fascination bien classique que suscite la
proximité du pouvoir. A dire vrai, l’entourage du tribun est dépassé.
Charles-Daniel Gaultier de Claubry, qui surveille le déroulement de la
grossesse d’Antoinette-Gabrielle et dont l’épouse met elle-même au monde, le 20
juillet 1792, un garçon prénommé Henri-François, ne cache pas son inquiétude.
La
machine infernale est lancée. Les armées coalisées avancent. Le 28 août 1792,
la Champagne apparaissant menacée, Danton fait venir sa mère à Paris. Et le 2
septembre 1792, c'est devant l'Assemblée Législative apeurée, le fameux
discours : « ... de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace ... ».
Danton y gagne une gloire patriotique qui se perpétue encore aujourd'hui et qui
est enseignée dans les écoles ; en elle même, elle n'est pas usurpée. Mais,
ministre de la justice et homme fort du pouvoir en place, il laisse se
perpétrer les monstrueux massacres des 3, 4 et 5 septembre 1792. Il s'en
justifiera le 12 septembre 1792 dans un entretien avec Louis Philippe de
Chartres, futur Louis Philippe 1er, alors lieutenant général aux armées : «
J'ai voulu mettre une rivière de sang entre eux (les jeunes patriotes partis
aux armées) et les émigrés ». Terrible aveu. Crime. Danton a du sang sur les
mains. Beaucoup de sang.
Antoinette-Gabrielle
est terriblement affectée par ces horreurs. Elle rentre Cour du Commerce
lorsque son mari quitte ses fonctions ministérielles, le 11 octobre 1792, après
avoir été élu député dans la nouvelle assemblée. La Convention, où siège aussi
Jacques-Louis David, tient sa première séance le 21 septembre 1792.
Plus
rien ne va. La grossesse d'Antoinette-Gabrielle se passe effectivement mal.
Georges Danton n’est guère là. Il est ou à la Convention - où il vote la mort du Roi, faute peut être
d'avoir réussi à acheter suffisamment de députés avec l'argent de la Cour et
où, comme chaque fois qu'une action apaisante ne lui paraît pas possible, il
renchérit à l'extrême inverse - ou en mission en Belgique où, loin de rétablir
la situation compromise de la France, il a une conduite peu exemplaire. Le 10
février 1793, Antoinette-Gabrielle donne naissance à un enfant mort-né et
succombe elle même. La foudre s'abat sur la Cour du Commerce. Danton revient à
la hâte.
Dans
une courte lettre adressée à Constance, François-Victor Charpentier le décrit
alors qu'il vient d'arriver dans l'appartement où il n'y a plus rien car
l'enterrement a déjà eu lieu : «
Georges est arrivé. Il demande sa chère Gabrielle. Il baise les draps qui l'ont
vu mourir. Il n'a de plaisir qu'à contempler l'esquisse que vous avez tracée.
Il y cherche ses traits, il les trouve. Je lui parle mais il ne répond pas. Si
vous voulez le sauver, si vous voulez sauver ma famille, rappelez vous les
traits de ma soeur adorée, crayonnez les, ne vous occupez que d'elle. Nous le
vous demandons tous instamment. Nous vous payerons d'une reconnaissance
éternelle, et d'un attachement le plus tendre. Des coeurs tels que les nôtres
ne sauraient trop payer un tel bienfait.
V.
F. Charpentier »
[39]
Le
désarroi de Danton est réel. La suite est connue. Il va, de nuit, au cimetière
Sainte Catherine accompagné du sculpteur Deseine, sourd et muet, et fait
déterrer Antoinette-Gabrielle. Le cercueil est ouvert et un moulage effectué
sur le visage de la défunte. Le sculpteur en tirera un buste
[40]
qui sera exposé, au prix d'un scandale vite étouffé, au salon de 1793. C'est
cela Danton. L'excès en tout et on passe à autre chose.
Un
mariage.
Le
désarroi de la famille Charpentier est tout aussi réel.
Dans
une autre lettre adressée à Constance, François-Victor s'en fait l'écho et en
profite un peu pour accentuer sa cour : « Ma pauvre soeur n'est plus. Ma mère
n'a plus d'amie, mon père n'a plus de fille. Ce n'est que peines et
gémissements dans ma famille. Elle n'est plus ma chère Gabriel (sic), elle a
emporté avec elle nos regrets, notre bonheur ... Je ne pourrai pas diner avec
vous. Si vous avez compassion de notre malheur, vous viendrez voir ma mère
disposée à verser sur vous toute sa tendresse pour ma soeur. Ma mère m'a dit en
pleurant qu'elle était sensible aux marques d'affection que vous aviez données
sur la position de sa chère Gabriel (sic). Elle vous verra avec
attendrissement. Venez donc faire couler et essuyer ses larmes. Adieu. Je vous
aimerai toute la vie.
V.F.
Charpentier »
[41]
.
Voilà
la question du mariage clairement posée.
Constance
en a parlé à sa mère, bien sûr, à ses oncles et tantes de Noyon, à des amies.
Les réactions n'ont pas été enthousiastes. « Vous êtes assez raisonnable pour
sentir de vous même les inconvénients d'un tel mariage, » fait valoir son oncle
prêtre qui fait miroiter la possibilité d'un « parti plus avantageux ». Certes,
on reconnait à François-Victor une « figure intéressante » et du « charme dans
les yeux », mais c'est pour recommander à Constance « qu'il faudra tôt ou tard, et le plus
tôt sera le mieux, se séparer de ces yeux si vifs et si tendres, de cette
figure si séduisante, ne plus entendre le son de sa voix, ni ses douces et
intéressantes paroles, oublier s'il est possible jusqu'à ce sourire charmant
qui découvre deux rangs de perles admirables ». On cherche à instiller le doute
: « Sans doute il a une fort belle figure, de très belles dents, de beaux yeux
...beaucoup d'esprit, de gaieté, de vivacité, d'instruction même. C'est un
personnage accompli ... C'est un homme infiniment aimable. Mais que connaissons
nous de sa moralité, de ses mœurs passées et présentes et qui nous assurera de
son avenir... ». Bref et en substance : l'amour c'est très bien mais, surtout
par les temps qui courent, un mariage c'est autrement sérieux
[42]
.
Constance
hésite depuis un bon moment. Elle en était venue aux expédients en demandant
des délais, six mois d'abord, plusieurs fois quinze jours ensuite. Le drame du
décès d'Antoinette-Gabrielle emporte sa décision. Dans une lettre qui peut être
datée du 20 avril 1793, adressée à son oncle prêtre dont elle veut obtenir
l'agrément, elle s'explique fermement en s'étonnant d'abord que son oncle
Thomas Gely demande au nom de la famille un délai « jusqu'à ce que la république soit établie
sur des fondements inébranlables; alors on pèsera le commodo et l' incommodo,
on fera des informations.». C'est non seulement renvoyer le projet aux calendes
grecques mais le placer sous bénéfice d'un inventaire que l'on devine peu
favorable par principe. La réponse est claire : « Quel que peu instruite que je
sois en politique, il me semble pouvoir juger qu'un gouvernement tel que le
nôtre se ressentira longtemps des secousses qu'il a éprouvé. J'ai pu espérer
comme une autre, que les choses prendraient un caractère de stabilité en peu de
temps. Je suis revenue sur cette erreur, et quelqu'espoir que l'on me donne
présentement d'une prochaine tranquillité je ne puis y croire. Mon opinion est
qu'il faut s'armer de courage pour être calme au milieu des troubles et savoir
se soumettre à tous les évènements». Cette appréciation faite en avril 1793 est
pour le moins lucide.
Constance rappelle ensuite les délais auxquels elle a
consentis et ajoute : « Enfin au commencement de février Mr. Charpentier eut le
malheur de perdre sa soeur ; sa mort édifiante, la douleur de sa famille que je
partageais bien sincèrement, celle de sa mère surtout, m'attendrit au point que
je promis formellement de la remplacer et de mettre tous mes soins à réparer
cette perte ; elle en fut touchée, me montra la plus grande tendresse en peu de
tems. On me demanda que le jour soit fixé à la semaine d'après celle de Pâques.
Maman y consentit et je n'en parus pas éloignée. ... On me rappelle ma parole.
Mr Charpentier me sollicite pour que je la tienne. Que répondre? Son
appartement est loué, les meubles, les hardes, les présents sont achetés ...
Tout continue dans l'espoir d'une réponse favorable. Le tems semble long
lorsque l'on attend ....». Elle fait valoir que MM. Blanvin et Bignot ont même
envisagé d’aller à Noyon avec François-Victor, preuve que la partie parisienne
de la famille est en faveur du mariage. Enfin, elle expose les avantages prévus
par les Charpentier dans le contrat de mariage dont la signature est prévue «
samedi prochain » et conclut que son oncle mettrait un comble à son bonheur en
venant à Paris : « c'est à quoi je voudrais engager tous mes oncles et tantes
... qu'ils n'oublient point qu'ils ont une nièce qui les aime bien tendrement,
elle se flatte d'avoir toujours leur tendresse. Persuadez les bien, mon cher
Oncle, que je suis toujours la même et que rien ne saurait changer les respectueux
sentiments avec lesquels j'ai l'honneur, mon cher Oncle, d'être votre très
humble très obéissante servante. »
[43]
Bref,
Constance passe outre aux réticences familiales avec les formes de cette
époque. A plus de deux siècles de distance, le plus surprenant, peut être, dans
ces échanges épistolaires sur un mariage voulu par l'intéressée et regardé
défavorablement par sa famille, est l'absence de références précises aux
évènements qui secouent la France et à la part qu'y prend son futur beau frère.
Les massacres de septembre 1792 datent de moins d'un an, la guerre est engagée
et le Roi a été guillotiné le 21 janvier 1793, il y a à peine trois mois.
Pourtant, les arguments invoqués par la famille et les amis ne sont guère
différents de ceux qui se rencontraient il n'y a pas encore si longtemps dans
bien des familles et qui peuvent même encore se rencontrer aujourd'hui. On
aurait pu s'attendre à en voir soulevés d'autres plus liés aux circonstances
politiques. Ce n'est pas le cas. Il est vrai que les pratiques de l'époque
devaient engager à la discrétion dans des lettres dont on n'était peut être pas
sûr qu'elles ne soient lues que par leur destinataire.
Quoiqu'il
en soit, le contrat de mariage de Constance-Marie Blondelu et de François- Victor
Charpentier est signé le 25 avril 1793 devant deux notaires. Sont présents :
François-Jérôme Charpentier et son épouse Angélique-Octavie Soldini stipulant
en leur nom et pour leur fils François-Victor, Marie-Angélique Debacq, veuve de
Pierre-Alexandre-Hyacinthe Blondelu, stipulant en son nom et pour sa fille
Constance-Marie, Thomas Gely, oncle, résidant à Noyon, présent à Paris ce jour
et agissant également pour son épouse Marie-Anne Blondelu, et enfin, Georges-Jacques
Danton.
On
le voit, l'oncle Gely, celui-là même qui peu de temps auparavant conseillait
d'attendre que la tranquillité générale revienne, s'est laissé convaincre. La
famille a renoncé à ses objections et il a cosigné l'acte avec le tribun.
François-Victor
apporte 7 000 livres en deniers et affaires. Les parents Charpentier 10 000
livres payées comptant (quinze jours auparavant, François Jérôme Charpentier
avait vendu pour 15 000 F sa maison de Fontenay). Constance 10 800 livres en
terres agricoles, 3 125 livres de rente sur l'État et 1 500 livres en
deniers et affaires. Constance se reconnait débitrice envers sa mère d'une
somme de 6 000 livres pour solde de tout compte, en l'absence d'inventaire
dressé au décès de son père, somme constitutive d'une rente perpétuelle de 300 livres
à verser à compter de la célébration du mariage.
Deux
actes distincts, passés devant les mêmes notaires et le même jour, assurent,
pour l'un, une rente de 210 livres à Constance qui lui seront versées tous les
six mois par Antoine Charpentier
[44]
auquel elle remet une somme de 5 250 livres en assignats et, pour l'autre, une
rente de 126 livres à Marie Angélique Debacq qui lui seront versées tous les
six mois également par Antoine Charpentier auquel cette dernière remet une
somme de 3 550 livres.
Certaines
estimations actuelles évaluent la livre sous la Révolution à 1,40 €. Leurs
auteurs montrent eux mêmes toute la difficulté, assez évidente, de ce genre de
conversion. Elle n'est donnée ici que pour se faire une idée approximative du
montant des sommes citées. On le voit, sur la base de cette conversion, le
nouveau ménage Charpentier, sans être totalement démuni, ne roule pas sur l'or.
L'appartement
loué par François-Victor est ce qu'on appellerait aujourd'hui un duplex, aux
troisième et quatrième étages d'un immeuble situé au n° 17 de la rue du Théâtre
français. Cet immeuble deviendra en 1806 le n° 35 de la rue de l'Odéon
(aujourd'hui n°21). Il s'agit du bâtiment se trouvant juste en face du théâtre
du même nom. Au quatrième étage, une cuisine, une chambre et un grenier. Au
troisième, un salon, une chambre à coucher et quatre pièces de tailles diverses
donnant sur cour. Pour l'époque, c'est donner dans la modernité. La rue du
Théâtre français est la première de Paris à avoir bénéficié de caniveaux
latéraux et de trottoirs
[45]
.
Et l'appartement est assez grand pour accueillir, en plus du ménage, la mère de
Constance et – disons - une bonne qui loge dans la chambre du quatrième étage.
Ce n’est pas loin de la Cour du Commerce. C’est tout proche de l’immeuble
habité par Camille et Lucile Desmoulins. Les liens entre les uns et les autres
ne se relâchent pas.
Un
autre mariage.
Revenons
Cour du Commerce.
Georges-Jacques
Danton se retrouve seul avec ses deux fils, Antoine et François-Georges, âgés
respectivement de trois ans et un an. Il n'est pas homme à se laisser arrêter
par ces circonstances. Dès le début du mois de mars 1793, il repart en mission
en Belgique. Le 22 février précédent, un conseil de famille l'a nommé tuteur de
ses enfants mineurs. François- Jérôme Charpentier est subrogé tuteur.
L'inventaire a débuté le 25 février. Antoine Charpentier a reçu de Danton une
subrogation totale pour s'en occuper. L'inventaire dure jusqu'au 15 avril 1793.
Dès le décès d'Antoinette Gabrielle, les grands parents Charpentier ont
recueilli les deux enfants.
Revenu
à Paris, Georges Danton adhère le 10 mars 1793 au principe de la Terreur et
vote pour la création du Tribunal révolutionnaire qui, sans appel ni sanction,
doit connaître de « toute entreprise contre révolutionnaire, de tout attentat
contre la liberté, l'égalité, l'indivisibilité
de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'État et tous les
complots tendant à rétablir la royauté ». On connait les terrifiants résultats
de cette juridiction d'exception. Danton a la responsabilité d'avoir contribué
à sa mise en place. Le 6 avril 1793, il est élu au Comité de salut public. Mais
sa solitude Cour du Commerce lui pèse et les grands-parents Charpentier ne
peuvent supporter indéfiniment la charge des deux enfants. Or, on le sait,
Louise- Sébastienne Gely adore s'en occuper. Elle court sur ses dix sept ans et
elle est tellement mignonne. Alors Danton se fait brusquement discret au Comité
de salut public. Il y brille même par son absence. Il fait la conquête de
Louise-Sébastienne.
Et
le 12 juin 1793, un contrat de mariage est signé devant Antoine Charpentier,
notaire, entre Georges-Jacques Danton, d’une part, et Marc-Antoine Gely et son
épouse, Marie Jeanne Léger Revel, d’autre part, stipulant pour leur fille
mineure, Sébastienne-Louise Gely. Sont présents : la mère du marié, Jeanne-Madeleine
Camut, sa tante, Marie-Geneviève Camut, et sa soeur, Anne-Madeleine Danton, les
deux soeurs de la mariée, Marie-Antoinette et Marie- Jeanne Gely, un ami du
marié et, enfin, François-Victor et Constance-Marie Charpentier. On le voit, ce
n'est plus la nombreuse assistance du mariage de 1787. Les temps sont changés.
Apparemment,
Noyon n'a pas eu son mot à dire et n'a pas été convié. Mais le cas était
différent de celui de Constance. Les parents de Sébastienne-Louise étaient là
et avaient seuls la responsabilité de leur fille. Il serait sûrement excessif
de penser, comme cela a été dit parfois, que Danton a acheté sa seconde épouse.
Sa personnalité est trop complexe pour être tout entière réduite au cynisme.
Certes, ce mariage résout des problèmes pratiques, notamment l'entretien de ses
enfants. Il comble aussi, joliment, son besoin de femme. Les dispositions du
contrat de mariage, toutes à l'avantage de sa future épouse, ont pu faire
penser à un monnayage de chair fraîche auquel Marc-Antoine Gely, obligé de
Danton, ne pouvait s'opposer, comme François-Victor Charpentier, également son
obligé, ne pouvait pas ne pas être présent. En réalité, les choses ne sont pas
aussi simples. Capable du meilleur comme du pire, Danton a toujours eu, on l'a
déjà vu, un jardin particulier qu'il entendait préserver et où il faisait
preuve de réelles qualités de cœur. Antoinette-Gabrielle disparue, il a
manifestement voulu recréer les conditions d'une vie privée qui lui manquait.
Fût-ce en admettant de se plier à l'exigence par sa future belle-famille d'un
mariage religieux béni par un prêtre non assermenté. Ces circonstances sont
connues. Le mariage religieux est célébré dans une mansarde par l'abbé de
Keravenant, ancien vicaire de Saint Sulpice, non jureur, emprisonné aux Carmes
et échappé par on ne sait quel miracle aux massacres de septembre 1792, après
que Danton se fut confessé à cet abbé réfractaire. Bien sûr, Danton ne s'en est
pas vanté et le mariage officiel a eu lieu ensuite à l'Hôtel de Ville. Mais il
l'a fait. Pur cynisme ? Louise- Sébastienne valait bien ce prix, comme un
autre, en son temps, avait dit que Paris valait bien une messe ? Ou, encore une
fois, autre part de sa personnalité broussailleuse ? Allez savoir.
En
cautionnant le mariage, François-Victor et Constance Charpentier sont restés
fidèles à l'homme, aux Gely et au petit monde de la Cour du Commerce.
Non
réélu au Comité de salut public le 10 juillet 1793, attaqué sur sa gestion de
divers deniers publics, Danton prend position clairement le 13 août 1793 en
faveur de l'instruction publique gratuite et impérative : « Après le pain,
l'éducation est le premier besoin du peuple ». Du bon Danton qui justifie la
mémoire que le pays lui conserve sur ce point. Mais il ne s'oppose pas, ou ne
peut s'opposer, au vote de la terrible loi contre les suspects du 17 septembre
1793. Le vent commence alors à mal tourner pour lui. Il le sent et se met en
congé de la Convention le 12 octobre 1793. Il part à Arcis-sur-Aube avec femme
et enfants. Il reprend son rôle de « bon notable » et acquiert plusieurs
parcelles de terres. Il ne rentre à Paris que le 19 novembre 1793, alerté par
ses amis politiques sur les risques qu'il court désormais. Le « Il n'oserait »,
lancé par lui en parlant de Robespierre, est connu. Danton rentre pour
affronter le conflit entre les « Indulgents » auxquels il est désormais
assimilé et les «
Exagérés» dont on connaît les noms et qui se déchainent.
Une
naissance.
Début
1794, la guerre est aux frontières, la guerre civile fait rage en Vendée où les
colonnes infernales de Turreau font leur sinistre travail, la Terreur est
d’actualité et Constance voit arriver avec inquiétude le terme de sa grossesse.
Elle aimerait avoir auprès d’elle le « professeur dans l’art des
accouchements », l’ami qui a suivi les grossesses d’Antoinette-Gabrielle
et dont elle a fait le portrait quand elle a commencé à s’alourdir
[46]
.
Mais Charles-Daniel Gaultier de Claubry a fait, pour un motif obscur, l’objet
d’une dénonciation au Comité révolutionnaire. Il a été arrêté.
[47]
A cette époque, cela signifiait malheureusement bien souvent une issue fatale
sous le « rasoir national ». Alors, François-Victor et Constance font
appel à Georges Danton. On sait bien qu’il commence à se trouver dans une
situation politique délicate mais son influence est encore grande. On lui
demande instamment d’intervenir et il le fait. Charles-Daniel est libéré. Constance accouche d’une petite fille
prénommée Julie-Constance.
[48]
Le « professeur dans l’art des accouchements », quant à lui, prend le
large, ainsi que tous ses amis, Georges Danton compris, le lui recommandent. Il
part à Blois avec femme et enfants mettre un peu de distance et d’oubli entre
lui et les « exagérés » parisiens.
François-Victor,
Constance et Marie-Angélique restent Cour du Commerce avec la petite
Julie-Constance. Que faire d’autre alors qu’à Noyon les turbulences
révolutionnaires battent aussi leur plein ? Jean-François Blondelu, l’oncle
chanoine, après avoir refusé de prêter le serment civique, a finalement
consenti à prêter le serment de Liberté-Egalité et à rester en marge du nouveau
clergé élu, position minimale pour ne pas être inquiété. La cathédrale a été
saccagée sur ordre du Conseil du département de l’Oise du 3 octobre 1793
[49]
.
Décapiter les statues et marteler le patrimoine religieux datant de plusieurs
siècles sont une façon pour certains de faire avancer le progrès. Thomas Gely
et deux autres officiers municipaux ont été destitués, au début du mois d’août
1793, lors du passage à Noyon de Collot d’Herbois et d’Isoré venus serrer les
boutons révolutionnaires. Le ménage Gely s’en est tiré en donnant des gages aux
délires du moment : leur jeune et mignonne Euphrosine-Marie-Anne, âgée de
16 ans, a incarné le 20 novembre 1793 la déesse Raison dans une cérémonie
républicaine qui l’a amenée, sur un brancard porté par quatre hommes, à la « cy-devant »
cathédrale où de longs discours ont été prononcés pendant près de trois heures
[50]
.
On plaint la pauvre déesse. A Noyon aussi il faut, d’abord, survivre. Comme le
disait Constance, on l’a vu, en avril 1793 : « Il faut s’armer de
courage pour être calme au milieu des troubles et savoir se soumettre à tous
les évènements ». Bref, pour le moment, chacun chez soi et advienne que
pourra.
Des décès. La grande
peur et le soulagement.
Pour
Georges-Jacques Danton, la suite est connue. C'est l'Histoire. La mise en
accusation et l'arrestation le 31 mars 1794 après les terribles réquisitoires
de Saint Just et de Robespierre à la Convention, puis le procès grotesque
[51]
et l'exécution le 5 avril 1794 après celle de Camille Desmoulins et de ses
autres amis politiques. Huit jours plus tard, le 13 avril 1794, c'est au tour
de Lucile Desmoulins d'être arrêtée et exécutée au motif qu'elle aurait tenté
de sauver son mari. Lucile, l'amie de coeur d'Antoinette-Gabrielle, la mère
d'un bébé de quelques mois. La fidèle de la Cour du Commerce qui habite à
quelques maisons de Constance ... Folie absurde.
Il
n'est guère difficile d'imaginer la peur qui règne alors Cour du Commerce et
chez François-Victor et Constance. Etre si proche des guillotinés peut laisser
entrevoir le pire. Une dénonciation suffit. Une connivence politique supposée peut
envoyer directement à l'échafaud. On l’a bien vu avec Lucile. Bien sûr,
Constance a été l'élève de David. David qui est membre de la Convention, qui est
enragé parmi les enragés, qui a été l'ordonnateur des grands spectacles révolutionnaires
(fête de la Liberté du 15 avril 1792, funérailles de Le Pelletier de Saint-Fargeau
du 24 janvier 1793, fête de la Fraternité du 10 août 1793), qui a dépensé
toutes ses forces et son talent à l'illustration de la Révolution (Le Serment
du Jeu de Paume, Marat assassiné, La mort héroïque du jeune Barra), David enfin
qui a été élu le 14 septembre 1793 au Comité de sûreté générale et qui vient de
présider la Convention pendant tout le mois de janvier 1794. Mais ces ardeurs
révolutionnaires ne sont guère dans le goût de Constance qui ne fréquente plus
son atelier. Une éventuelle protection par Jacques Louis David est bien
aléatoire. Il ne reste plus, pour François-Victor et Constance, qui vient de
mettre au monde son premier enfant et qui n’arrive plus à peindre, qu'à
trembler et à redouter l’ébranlement de leur porte sous les coups de poings des
sans-culottes, prélude à l’arrestation et à l’antichambre de la mort. Les
semaines passent dans l’angoisse. Mais rien ne se produit.
Moins
de quatre mois plus tard, c'est le fameux 9 thermidor (27 juillet 1794). Le 28
juillet 1794, montent à l'échafaud, après Robespierre et Saint Just, neuf
membres de la Commune. Le lendemain, soixante-dix personnes sont exécutées,
essentiellement des membres de la Commune. L'agent national, Claude-François
Payan, a fait partie de la première fournée. François-Victor Charpentier, «
employé de l'agent national de la Commune», n’est pas inquiété. Peut-être ses
fonctions étaient-elles seulement techniques, comme on dirait aujourd'hui, ou
était-il suffisamment discret, ou encore s’était-il gardé d’afficher des positions
politiques. Il n'empêche, il ne pouvait qu'avoir la peur au ventre en voyant
une grande partie de ceux qu'il avait côtoyés passer sous le couperet.
Fort
heureusement, la folie meurtrière les a négligés. Le pire est donc passé. Comme
toute la France, on respire rue du Théâtre français, quai de l'École, et Cour
du Commerce. Maintenant, il faut gérer la situation.
Louise-Sébastienne
part – provisoirement - à Arcis-sur-Aube, chez sa belle mère. Un conseil de
famille est réuni le 10 juillet 1794. II comprend François-Jérôme Charpentier,
Antoine-François Charpentier, Victor-François Charpentier, Marc-Antoine Gely,
Charles-François Bourjot, Jean Regnault et Jean-Louis Paschal Maulu, limonadier
qui habite quai de l'École
[52]
,
ami des Charpentier. On le voit, le petit monde de la Cour du Commerce et du
quai de l'École serre les rangs. François-Jérôme Charpentier est nommé tuteur
des enfants de Danton et François-Victor Charpentier, subrogé tuteur. François-Jérôme
Charpentier et son épouse s'acquitteront avec conscience et efficacité de la
tutelle des malheureux enfants qui viennent en l'espace de quatorze mois de
perdre leur mère et leur père. Le tuteur réussira en particulier à récupérer la
quasi-totalité des biens de leur père confisqués d'office par l'État en raison
de sa condamnation. Telle était alors la loi. Le 9 thermidor permit
heureusement des arrangements plus humains.
Constance,
quant à elle, dans les moments que lui laisse sa petite Julie-Constance, peut
se remettre sérieusement à la peinture ... Enfin.
Rue du Théâtre Français devenue rue de l’Odéon à partir de 1806
8
Charles Daniel Gaultier de
Claubry – Constance Charpentier – (C.P.)
Les
dernières conséquences de la période terrible arrivent à leur terme.
Jacques-Louis
David, robespierriste jusqu'au bout, a divorcé le 16 mars 1794, son épouse ne
supportant ni ses excès ni ceux du mouvement auquel il participait. Arrêté le 2
août 1794, transféré en septembre à la prison du Luxembourg, il est libéré le
28 décembre 1794. Son exceptionnel talent de peintre lui a permis d'éviter
d'être envoyé à l'échafaud. La fidélité de son ex-épouse et l'isolement de la
prison ont porté leurs fruits. La joie des retrouvailles le 31 décembre 1794,
le sentiment d'avoir échappé au pire et la dissipation de l'excitation malsaine
de la Convention sous la Grande Terreur lui redonnent le goût de vivre. Il
épouse à nouveau la mère de ses enfants. Arrêté une fois encore le 28 mai 1795,
il est définitivement amnistié le 26 octobre suivant et retrouve, au Louvre,
son appartement et son atelier pour se consacrer entièrement à la peinture.
François
Gérard, confronté à des difficultés personnelles à la suite du décès de son
père en 1790, a été aidé par David qui l'a même fait nommer juré au Tribunal
révolutionnaire créé le 10 mars 1793. II n'est pas glorieux d'accepter de
participer à cette parodie de justice expéditive ; même s'il faut bien avoir de
quoi vivre, toute compromission n'est pas bonne à prendre. Le jeune peintre,
qui a alors vingt trois ans, n'en continue pas moins à peindre et reçoit un
prix dans le concours du 10 août 1794. Arrêté après le 9 thermidor, il est
rapidement acquitté et, lui aussi, se consacre entièrement et définitivement à
son art.
Louis
Laffitte a, pour sa part, choisi de quitter la France en 1793 pour mettre à
l'abri ses vingt trois ans à Florence, peu soucieux d'être exposé, fût ce en
spectateur involontaire, aux convulsions de la Cour du Commerce où, on l'a vu,
habite son premier maître, Jean-Baptiste Regnault. Il revient à Paris en 1796
[53]
.
Pierre
Bouillon, enfin, qui n'a que dix huit ans en 1794, est élève à l'école des
beaux-arts où il fréquente l'atelier de Nicolas-André Monsiau. Son heure est
encore à venir.
Au
n° 17 de la rue du Théâtre Français, Constance Charpentier vit paisiblement en
ce début de l'année 1795. François-Victor fait son chemin dans l'administration
qui va devenir celle du département de la Seine où il finira chef de division.
La petite Julie-Constance commence à babiller. Sa mère n'a plus d'atelier
reconnu, ni de maître, ni encore de condisciple avec lequel confronter ses
impressions, ses espoirs ou ses intuitions artistiques. Mais, à 28 ans, elle n'entend
pas laisser passer sa chance. Tout artiste peut maintenant exposer au Salon,
seule voie permettant de se faire connaître du public et, qui sait, d'atteindre
à la notoriété. Constance, on l'a dit, est ambitieuse et sûre de son talent.
Elle
propose trois tableaux au Salon qui
ouvre ses portes le 2 octobre 1795 :
sous le n° 82 « La petite friande »
et, sous le n° 83, deux portraits, l'un d'homme, l'autre de femme
[54]
.
Il n'y a malheureusement aucune trace connue aujourd'hui de ces trois tableaux.
La « petite friande » était-elle une évocation de sa petite fille d'un an ? Ce
serait bien dans le goût intimiste de Constance. « La petite friande » apparait
encore dans l'inventaire après le décès de François-Victor mais il n'est pas
parvenu jusqu'à nous. Quoiqu'il en soit, en exposant pour la première fois,
Constance n'est plus l'élève qui essaie de recueillir l'approbation de maîtres
intransigeants. Elle fait acte d'indépendance et manifeste sa volonté d'exister
par elle même.
Pour
autant, sa solitude artistique ne dure pas. Comment aurait elle répugné à
rejoindre l'atelier de David où, dès le mois de novembre 1795, se rassemble tout
ce que Paris compte de jeunes artistes ?
[55]
Le maître s'est mis à l'immense ouvrage des « Sabines », mais ses portraits du
couple Seriziat, exposés au Salon de 1795, ont reçu le meilleur accueil d'un
public plus sensible désormais aux images d'une bourgeoisie tranquille qu'aux
grandes compositions illustrant les vertus des anciens. C'est cette voie que
Constance veut suivre et qu'elle emprunte résolument, comme le fait François
Gérard après avoir encore sacrifié à l'antique avec le « Bélisaire » exposé au Salon de 1795 et
le « Psyché et l'amour » exposé à celui de 1797. Constance fait rapidement et
naturellement partie de ce milieu de la peinture où l'on se connait, se
surveille, s'apprécie où se hait, s'admire ou se jalouse, ce milieu qui explose
littéralement. Pas moins de 252 artistes envoient 529 tableaux au Salon de 1796
!
[56]
Elle se sent plus proche de Gérard que du flamboyant David ébloui par
Bonaparte, ou de son jeune et brillant confrère Pierre Bouillon, qui décroche
en 1797 le prix de Rome à 21 ans, en commun avec Bouchet et Guérin (toujours un
antique : « La mort de Caton d'Utique »), et qui habite désormais lui aussi rue
du Théâtre Français.
« Le compte-rendu sur l’anse du
panier »
[57]
, peint
par Constance à cette époque et – merveille ! – signé et daté par elle
(Constance Charpentier – An IV), porte la marque de l’influence de l’atelier de
David par les tons vifs employés tout en reflétant sa propre préférence de s’en
tenir aux scènes d’intérieur. C’est un tableau essentiellement féminin par son
objet.
Et
lorsque, comme c’est le cas pour cette oeuvre, elle réapparait après des
décennies, cet objet est peu ou mal compris.
[58]
De quoi s’agit-il ? D’une scène de la vie la plus courante qui soit et que
toute « maîtresse de maison » pouvait aisément comprendre à l’époque.
Pour celle qui disposait d’une servante, aller se procurer le nécessaire pour
les repas était l’une des premières corvées de la vie de tous les jours dont
elle se déchargeait sur la « bonne ». Elle lui confiait donc de
l’argent à cette fin. Et il pouvait arriver – car la tentation était grande –
que celle-ci achète moins de victuailles que la somme d’argent qui lui avait
été confiée le permettait et qu’elle conserve pour elle la différence. Cela
s’appelait « faire danser l’anse du panier ». Le tableau de Constance
a donc toute sa signification : la maîtresse de maison interroge, avec un
air de reproche, sa servante sur l’utilisation qu’elle a faite de la somme
qu’elle lui avait confiée au regard de ce qu’il y a effectivement dans son
panier. A la fin du XX° siècle, cette scène de la vie bourgeoise est oubliée
par la plupart. Alors, on désigne ce tableau par « La servante
réprimandée », ce qui n’est pas forcément faux mais ne rend pas compte de
la raison de la réprimande, ou par « L’anse du panier » ce qui n’éclaire
guère le spectateur qui met un moment à découvrir le panier suspendu au bras de
la servante. Ainsi va la vie des tableaux.
Constance
expose cinq tableaux au Salon de 1798 : un portrait en pied du citoyen
F***, ex représentant du peuple au Conseil des Anciens (n°79), un portrait
d'une femme et de son enfant (n°80), un portrait d'une femme peintre (n°81), un
portrait d'homme (n°93) et un portrait de l'auteur (n°82). Si l'on a perdu la
trace des quatre premiers, le dernier a été fort heureusement retrouvé et
publié
[59]
.
Ce beau pastel ovale nous révèle que Constance était, à trente ans, une jeune
femme souriante, au visage rond avec un nez un peu fort, des yeux foncés, une
bouche bien dessinée et une abondante chevelure auburn. Heureuse révolution
artistique éclose dans la deuxième partie du XVIII° siècle et à l’origine de
laquelle on trouve principalement Elisabeth Vigée-Lebrun et Adélaïde
Labille-Guiard
[60]
, qui,
en amenant les femmes peintres à faire d'elles mêmes l'objet de leurs tableaux,
nous permettent aujourd'hui de mieux les connaître.
Constance
est lancée. Un an plus tard, au Salon de 1799, elle présente et expose six
tableaux : deux tableaux faisant pendant: la veuve d'une année - la veuve d'une
journée (n°708) ; un portrait de l'auteur et de sa fille (n° 709) ; deux
portraits de femmes (n°710) ; un portrait de femme (n°711).
La
« Veuve d'une journée » et la « Veuve d'une année » avaient été fort endommagé pour s'être trouvés
en Algérie dans une maison familiale qui avait été environnée de flammes.
Restaurés, ils ont presque retrouvé leur fraîcheur première. Mais leur thème a
été jugé probablement peu compréhensible à la fin du XXème siècle ou trop peu
attrayant pour le public des salles de prisée : la « Veuve d'une journée » est
devenue « Le souper » et la « Veuve
d'une année » a été rebaptisée « Les apprêts de la toilette »
[61]
.
Ils ont été, de surcroît et finalement, vendus séparément. Les circonstances
ont fait ainsi une double offense à la mémoire de leur auteur. Ces deux
tableaux sont inséparables et incompréhensibles s'ils sont disjoints. Ils sont,
en effet et d'abord, le reflet d'une époque : celle des guerres commencées en
1792 et qui ne s'arrêtèrent que plus de vingt ans plus tard. Les jeunes hommes
tués aux combats et les deuils familiaux qui en résultaient étaient alors des
choses malheureusement fréquentes. Le public ne pouvait que comprendre
immédiatement le sujet de cette scène de genre. Mais ils sont surtout, à
condition de ne pas les séparer, une critique malicieuse du comportement
féminin. Dans la « Veuve d'une journée
», il y a certes un souper. Mais ce qui compte c'est la désolation de l'épouse
qui, malgré l'invite de sa servante éplorée, ne peut y toucher ; elle est toute
au chagrin de la perte de l'homme aimé dont elle contemple en pleurs le buste
situé sur la cheminée au pied de laquelle sont posées les armes qui lui
appartenaient et qui ont été rapportées par quelque émissaire compatissant.
Dans la « Veuve d'une année », le temps a passé, il faut bien vivre et le
sourire est revenu sur le visage de la veuve dont la même servante parachève la
robe avec un contentement complice : il y a du bal dans l'air. Le buste du
défunt est toujours là mais il est relégué au fond de la pièce. Autrement dit :
vos jeux dangereux, Messieurs, nous désolent mais dites vous bien que si vous y
restez et que vous nous laissez seules, nous saurons nous consoler.
L’idée
originelle de Constance, révélée par deux dessins préparatoires
[62]
,
était sensiblement différente. La femme éplorée, sans que l’on en saisisse bien
les raisons, semble repousser les consolations d’un jeune homme, tandis que,
dans le tableau suivant, revigorée, elle ne parait pas insensible au discours
d’un homme plus que mûr. L’argument est ambigu. Celui finalement retenu est,
comme on vient de le dire, plus clair et bien adapté à son temps.
Personne
ne s’y est trompé. Et les artistes réunis en commission sur instigation du
ministre de l’intérieur pour décider des exposants qui méritaient une
reconnaissance particulière ont attribué à Constance Charpentier, pour ces deux
tableaux, un prix d’encouragement de Vème classe
[63]
.
Ce n’est que la dernière des cinq classes de prix, mais – on ne va pas faire la
fine bouche – c’est une reconnaissance publique de la qualité de la peinture et
de l’opportunité du sujet auquel le public était sensible. Voilà Constance
confortée pour la première fois dans ses efforts.
Dans
la même classe de récompenses on voit apparaître Marie-Denise Villers pour un
tableau intitulé « Femme peignant ». On aura l’occasion de retrouver
cette peintre, contemporaine de Constance, à propos du Salon de 1801.
Pour
Constance, à l’évidence, le « Portrait de l'auteur et de sa fille » a été
réalisé pour être un souvenir familial. Et si le livret du Salon de 1799 porte
cette mention, c'est tout aussi évidemment sur les indications de Constance
Charpentier elle même. La mignonne petite fille à la robe blanche et aux
boucles blondes est donc la petite Julie-Constance qui, en 1798, époque à
laquelle le tableau a été réalisé, est âgée de quatre ans. Il a été conservé
dans la famille du peintre jusqu’en 1990.
[64]
C’est
la seule représentation existante de la première fille de Constance Charpentier
appelée à disparaitre prématurément.
Les
autres portraits exposés en 1799 sous les n° 710 et 711 n’ont pu être
identifiés.
Pas
plus que n’ont pu l’être ceux exposés au Salon de 1800 sous les n° 85 (Portrait de
Mme Delille, artiste de l’Odéon), 86 (Portrait d’une petite fille) et 87
(plusieurs portraits sous le même numéro). Contentons nous donc de déduire de
cette liste que Constance commence à être connue et, comme l’on dit, à avoir
une clientèle. A cette époque où nul ne peut imaginer qu’un jour la
photographie existera, le portrait – et ce n’est pas nouveau – est la seule
façon de transmettre son image aux générations suivantes. La bourgeoisie,
notamment parisienne, accède alors à ce gage de continuité pour le plus grand
profit des portraitistes. Constance fait donc partie désormais des peintres
auxquels on peut s’adresser sur la place de Paris pour, comme on dit mal,
« se faire tirer le portrait ». Mais gageons que cela ne lui suffit
guère et que son ambition n’y trouve pas son compte.
Plus
que jamais elle se met au travail.
Le compte-rendu sur l’anse du panier – Constance Charpentier - 1796
Constance Charpentier – Autoportrait – Salon de 1798 n° 82
La veuve d’une journée avant restauration La veuve d’une année après restauration
Constance Charpentier – Salon de 1799 – n° 708
------------------------------------------------------------
(« Journal des arts, de littérature et de commerce » - n° 20 – 10 brumaire an VIII – 31 octobre 1799)
Portrait de l’auteur et de sa fille – Constance Charpentier – Salon de 1799 – n° 709
Passé
le choc du coup d'État du 18 brumaire et sous l'autorité de Bonaparte, premier
consul non encore atteint par les excès de l'empereur, la France respire. Paris
s'ébroue et s'amuse. On s'offre le luxe d'avoir des états d'âme qui préludent
aux épanchements du romantisme. Constance s'adonne corps et âme à la peinture.
Délaissant probablement Jacques Louis David, devenu le 7 février 1800 peintre
du gouvernement, rallié indéfectiblement au nouvel homme fort et porté sur les
grandes compositions consacrées à sa gloire, elle se rapproche des peintres de
sa génération, François Gérard surtout avec lequel elle ressent une réelle connivence
dans l'art du portrait, mais aussi avec son jeune voisin, Pierre Bouillon. Sa
sensibilité la met au diapason de ces langueurs auxquelles on peut s'abandonner
dès lors que l'on ne craint plus pour sa vie. Elle les résume en un tableau :
La Mélancolie.
Elle
en fait une première mouture. Un petit tableau - ou modello
[65]
. C'est beaucoup plus qu'une esquisse mais sans
le soin dans les détails apporté au grand tableau final. Le saule pleureur,
symbole évident, en arrière plan à gauche de la jeune femme alanguie en robe
blanche, existe déjà mais le regard s'échappe vers un paysage lointain dans le
coin droit. Constance supprime ce paysage dans le grand tableau, probablement
pour renforcer le caractère intimiste du sujet, contraindre l'œil à s'attacher
au personnage central et mieux saisir ainsi les sentiments qui l'habitent. Dans
le catalogue de l'exposition « De David à Delacroix » en 1973 au
Grand Palais à Paris, Roger Rosemblum, dans le cours de son commentaire sur le
tableau de Constance, cite ce poème qu'il a inspiré à un critique contemporain
du salon de 1801 :
« A
l'ombre d'un saule pleureur,
Sur
le bord d'une onde limpide
Cette
femme nous peint son coeur
Dans
un regard doux et timide,
On
a du plaisir à rêver
Près
d'une femme si jolie
Et
ce tableau nous fait trouver
Du charme à la mélancolie. »
Tout
cela peut apparaître aujourd'hui un peu désuet et la pose même de la jeune
mélancolique nous semble aujourd’hui pour le moins convenue, notamment la
position de sa main gauche. Cette attitude peu naturelle de la main est si
fréquente chez Constance que la tentation est grande de nos jours de lui
attribuer, presque par principe, les tableaux où on la retrouve. A dire vrai,
c’était surtout la marque assez commune de l’école néo-classique dont seuls les
meilleurs – pensons notamment à Elisabeth Vigée-Lebrun – ont su s’affranchir
pour représenter des poses plus naturelles. On a beaucoup dit que Constance s'était inspirée du personnage de
Camille du tableau de David « Le Serment des Horaces ». Il est exact, pour s’en
tenir à ce point particulier, que le bras gauche de Camille pend le long de son
corps comme si toute vie s’en était retirée. Pour mieux attester probablement l’état
d’affliction extrême accablant le personnage. Constance a conservé le procédé. C'était un charme d'un autre temps, mais son
caractère un peu suranné pour notre XXI° siècle ne peut faire oublier ni la
qualité de la peinture ni le talent de son auteur. En particulier, la subtilité
du traitement des tons blancs affectionnés par Constance est exemplaire.
Constance
peint encore six tableaux en prévision du Salon qui doit ouvrir ses portes le 2 septembre 1801 : l'un intitulé « La jeunesse bienfaisante » et, pour les cinq autres, un
portrait d'homme cachetant une lettre
[66]
,
un portrait de femme qui déjeune
[67]
,
deux portraits d'hommes et un portrait de femme.
Quand
arrive l'été 1801, elle est épuisée, ne mange guère et a maigri. Epuisée et
déprimée. C'est que François-Victor passe beaucoup de temps hors de chez lui, y
compris le soir. Constance n'est pas loin de lui supposer une liaison avec une
certaine demoiselle « G. ». Moment de tension dans le ménage.
Constance fuit Paris accablé de chaleur et part avec sa fille à Noyon chez sa
bonne tante Gely.
Noyon.
Une
série de lettres échangées entre les époux a heureusement été conservée dans
les archives de la famille. Leur datation est certaine : dans l'une d'entre
elle, Constance annonce que sa cousine Donné est accouchée d'un beau et gros
garçon. Il s'agit d'Alfred Donné, fils d'Adrien Donné et de Marie Anne Gely,
elle même fille de Thomas Gely et de Marie Anne Geneviève Blondelu, celle-là
même qui avait incarné la « déesse Raison » à Noyon le 20 novembre
1793. Alfred Donné est né le 5 octobre 1801
[68]
.
Constance fait également état dans ses lettres du mauvais état de santé de son
oncle Thomas Gely. Thomas Gely est décédé le 27 septembre 1802. Tout ce que
contiennent ces lettres se rapporte donc bien au séjour de Constance à Noyon
pendant l'été et l'automne 1801.
Ces
vacances sont bénéfiques sur le plan conjugal. Dans une lettre très tendre du 8
septembre 1801, François-Victor affirme : « Je te l'assure avec
attendrissement, je ne connais pas de femmes qui me conviennent mieux que toi ;
et il n'en est pas avec qui je voudrais changer ma Constance. Tu n'as jamais
perdu et tu ne perdras jamais aux comparaisons que j'ai pu et que je pourrai
être dans le cas de faire. Mon refrain a toujours été et sera toujours : ma
bonne femme vaut mieux que tout cela. Si j'ai été assidument, pour le distraire,
trainer mon ennui dans quelques maisons, c'est toujours avec le plus grand
plaisir que je revenais auprès de toi ... on sort de chez soi pour aller se
dissiper ailleurs, et on rentre tout étonné de s'y être moins plu que chez soi
... ma bien bonne amie, ne crains rien de ton bonhomme, il t'aime bien, mais
bien fermement ... »
[69]
.
Fautes avouées et expliquées, donc à moitié pardonnées, François-Victor est
entendu et ses lettres suivantes comme celles de Constance témoignent de la
dissipation des nuages amoncelés au début de l'été.
Constance
s’inquiète pour la santé de sa cousine Julie
[70]
.
Elle parle « de la mélancolie et des souffrances de Julie», « elle tousse », «
elle a beaucoup souffert de faiblesse », elle a eu « un étouffement terrible »,
« lorsqu'elle va mieux elle est on ne peut plus aimable et ne manque pas de
courage mais il l'abandonne lorsque le mal redouble ».
En
revanche la petite Julie-Constance, à part un torticolis et un rhume sans
gravité, va bien. L'enfant rédige, « en partie » mentionne Constance, et signe (« ta fille Constance») un
gentil billet adressé à son père.
Constance,
pour sa part, retrouve après quelques semaines le sommeil, l'appétit et le
désir de peindre. François-Victor doit, toutes affaires cessantes, lui faire
parvenir de la terre de sienne brûlée, du blanc fin broyé, du blanc d'argent,
de l'huile d'œillet, du noir de pêche, du noir de charbon, du jaune de « napple
» non broyé et deux toiles de dix qu'elle n'arrive pas à dénicher à Noyon.
Puis, la température fraichissant, elle a besoin de « ses hardes d'automne », toute une liste détaillée que François-Victor
doit lui faire parvenir par la diligence. Il s'exécute et fait même le voyage
pour lui apporter le « portrait de son cher Oncle », tableau que, dans on ne
sait quelle précipitation ou distraction, Constance oublie en pleine campagne. François-Victor
se moque gentiment: « Ce n'est pas ta faute si tu es distraite et j'aurais tort
de me plaindre lorsque faisant le voyage exprès pour porter le portrait de ton
cher Oncle, tu l'oublies sur un tas de fumier et tu le laisses là comme le
bonhomme Job. ». Le tableau a été récupéré. Et Constance peint. Elle veut faire
les portraits de son oncle Thomas Gely et de sa tante Marie Anne Geneviève
malgré le peu d'enthousiasme des intéressés : « Mon oncle Gely s'en va tant
qu'il peut et ne se soucie pas de poser, ma tante qui n'a jamais voulu se faire
peindre ne veut pas encore commencer. Ils se disputent l'un l'autre à qui ne
commencera pas. » . Constance y arrive quand même. Elle fait état également du
portrait de Mr Bignot, époux, on l’a vu, de Marie-Adélaïde Blondelu, et de
celui de son oncle l'abbé
[71]
.
Sans compter un paysage auquel elle déplore de ne pas avoir eu le temps de
suffisamment travailler. Et elle s'agace des mille contingences de la vie
quotidienne qui lui prennent le temps qu'elle voudrait consacrer à peindre : «
J'ai plus d'occupations qu'il ne m'en faudrait. Il faut lever, habiller,
peigner, débarbouiller ma fille, raccommoder les accrocs de ses bas, autant
pour moi, sous peine de ne pas promener. Ensuite, il faut jaser un peu
longtemps, avec mon oncle l'abbé visiter les malades et l'accouchée ... »
[72]
.
Le temps de la création est toujours difficile à arracher aux exigences de la
vie quotidienne mais, en tout cas, Constance a retrouvé toute son ardeur pour
la peinture. Quant aux tableaux familiaux qu'elle cite, on ne sait ce qu'ils
sont devenus.
Un
succès.
« La
Mélancolie » a, effectivement, retenu l'attention. Robert Rosemblum cite
un critique anonyme qui voyait en Constance Charpentier une nouvelle artiste
dans cette « classe des femmes distinguées par leur talent », bien qu'il se
plaignît qu'il y eut « peu de finesse dans les contours ».
Constance
est à la fois surprise et ravie d'apprendre que l'État s'est porté acquéreur du
tableau pour le prix de 1 580 francs - « à titre d'encouragement ». Elle n'y
croit d'abord qu'à moitié - « s'il est vrai que je doive recevoir 1 580
francs de mon prix » - mais charge déjà François-Victor d'en faire bon usage :
« Si tu reçois les quinze cents francs, par hasard, avant mon retour, paye je
te prie sur le champ mes dettes, et commande moi un mannequin. Sans cela je ne
serai pas heureuse. ». Encore plus que cet apport financier, espéré peut être
mais non sérieusement prévu, cette nouvelle reconnaissance officielle de son
talent comble Constance et achève, s'il en était besoin, de la remettre sur
pieds. Mais que signifie ce passage de l'une de ses lettres de ces jours là :
« Je n'ai point du tout deviné la personne qui t'a accompagné chez le ministre
de l'intérieur. J'avais d'abord cru que c'était M. Petitot mais à ta prompte
réussite je dois croire que c'est le général Lerois ou M. Adet, j'ai peine à le
croire. Au surplus quel qu'il soit, je remercie beaucoup celui qui m'a rendu ce
service. »
[74]
. On ne
sait pas précisément de quoi il s'agit. On aimerait ne pas avoir à en déduire
que François-Victor qui décidément a, comme l'on dit, des relations, ait pu
intervenir auprès de Lucien Bonaparte (alors ministre de l'intérieur, Fouché
étant chef de la police) pour décrocher l'encouragement en question.
«
La Mélancolie » est aujourd'hui au musée de Picardie à Amiens auquel il a été
attribué par l'État le 13 octobre 1864.
Un tableau controversé.
La controverse
ne date pas de 1801. Elle est beaucoup plus récente.
Voilà
l'affaire.
En
1917, Isaac D. Fletcher lègue au Metropolitan Museum of Art de New York, le
célèbre MET, un vraiment ravissant tableau représentant une jeune fille, vêtue
d'une robe blanche à la mode du début du XIX° siècle, en train de dessiner sur
une feuille supportée par un carton à dessin appuyé sur ses genoux et qu'elle
tient de la main gauche. Le modèle a le visage tourné vers celui qui regarde le
tableau. Le visage est d'une extrême finesse, encadré de boucles de cheveux
blonds. L'artiste est éclairée par la lumière provenant d'une fenêtre située
derrière elle, sur la gauche du tableau alors qu'à droite le mur est
uniformément sombre. L'effet de contre jour est saisissant. Le tableau n'est
pas signé.
Il
avait été révélé au public en 1897 à Paris lors de l’exposition
« Portraits de femmes et d’enfants ». Il appartenait alors à un
commandant Hardouin de Grosville qui affirmait que sa famille avait conservé ce
portrait de sa grand-mère laquelle, selon la tradition familiale, avait été
élève de David qui l'aurait réalisé en 1803. II était ainsi réputé être le
portrait de Mademoiselle du Val d'Ognes.
En
janvier 1951, Charles Sterling, conservateur du département des peintures du
MET, fait paraître dans le bulletin du musée un long article dans lequel il
réfute l'attribution du tableau à David et conclut en l'attribuant à Constance
Charpentier
[75]
.
Personne
ne conteste que David ne peut avoir été l'auteur du portrait de Mlle du Val
d'Ognes. En dehors même du fait qu’aucune Mlle du Val d’Ognes n’apparait dans
les listes existantes des élèves de David et au delà des arguments proprement
picturaux, la raison principale en est que ce portrait apparaît sur une gravure
de Monsaldy et Devisme représentant une partie des tableaux exposés au Salon de
1801. Cela existait à l'époque : on faisait le tableau des tableaux ... Le
portrait de Mlle du Val d'Ognes se trouve clairement dans un coin de
l'exposition, entre deux autres portraits ovales. Or Jacques Louis David n'a
pas exposé au Salon en 1801. Ce premier point est dépourvu d'ambiguïté. Reste à
déterminer l'auteur de ce tableau non signé.
Pour
l'attribuer à Constance Charpentier, Charles Sterling fait l'inventaire de tous
les tableaux exposés et mentionnés comme étant des portraits de femmes ou
seulement comme des portraits sans autre précision. Il en trouve vingt neuf.
Prenant en compte un ensemble de critères qu'il serait trop long de détailler
ici, il en élimine vingt sept. Deux restent : Jean-Baptiste Genty et Constance
Charpentier. Il ne retient pas le premier qui est un miniaturiste. Il ne reste
donc que Constance. Et Charles Sterling de citer le commentaire, paru dans les
Petites Affiches de Paris du 5 septembre 1801, du critique Ducray-Dumesnil : «
Dans le groupe des portraits de Mme Charpentier, on doit en signaler un très
remarquable : n° 60. C'est celui d'une jeune personne presque entièrement dans
l'ombre. Cet effet difficile est bien senti. Mais pour éviter les ombres
rousses, l'auteur les a fait grises, ce qui produit un ton lourd, toujours
froid. Au reste, l'exécution des ouvrages de ce peintre aimable est ferme et
résolue, comme la disposition de ses attitudes et le choix de ses masses. ».
Tout en déplorant que Ducray Dumesnil, qu'il présente comme l'un des critiques
les plus sérieux de l'époque, n'ait rien dit sur la pose du modèle, et après
s'être référé aux seules œuvres de Constance dont il avait connaissance - La
Mélancolie et l'autoportrait conservé au musée de Dijon - Charles Sterling propose
donc d'attribuer le tableau à Constance Charpentier, non sans ajouter
prudemment que cette attribution mériterait d'être confirmée « le jour où
quelques portraits de cette artiste seront découverts. ».
Point
n'est besoin d'être un grand expert pour prendre acte des différences
considérables existant entre le portrait de Melle du Val d'Ognes et, par
exemple, ceux de l' « Homme cachetant une lettre » et de la « Femme qui déjeune
», exposés aussi par Constance au Salon de 1801. Le caractère assez convenu et
figé des attitudes des modèles, en dépit de la finesse de l'exécution
picturale, les placent bien loin du mouvement et de la lumière qui illuminent
Mlle du Val d'Ognes. Ce qui justifie probablement la contestation de l'attribution
faite par Charles Sterling.
Revenons
pourtant aux lettres échangées par François-Victor et Constance pendant cet été
et cet automne 1801. François-Victor annonce à Constance le 8 septembre 1801
(le Salon a ouvert ses portes le 5 septembre) : « Je te le répète, ton tableau
fait fort bien quoique on ne l'ait pas changé de place et ce serait vraiment
dommage de le retirer du Salon. ». Réponse de Constance: « Quant à mon petit
tableau, malgré tout ce qu'on pourra m'en dire, je n'effacerai pas de ma mémoire
et ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu ; mais j'en suis très consolée ; je
croyais que Mrs Gérard et Roberts s'en seraient occupés ; j'avais imaginé
surtout que le premier y prendrait quelque intérêt ; je me suis trompée ; je
pense que Mr Belot, le marchand de couleurs, aura eu plus d'égard à ma demande
et qu'il aura mis un second vernis. C'est sans doute à cela que tu dois
attribuer le meilleur effet qu'il produit maintenant. ». Quelques jours après,
toujours de Constance : « J'aurais mieux aimé savoir mon tableau chez nous mais
je me soumets à mon sort, il en sera ce que M. Gérard décidera avec toi. Je ne
puis croire qu'il soit tout à fait indifférent à ce qui me regarde. Au surplus,
si personne ne daigne s'intéresser à moi, je suis sûre de te plaire, être aimée
de toi est pour moi plus que le public, la gloire, les louanges, la critique,
l'intérêt. ». Enfin, de François-Victor: « ... ton tableau est déplacé, il est
dans le coin du salon près de la porte qui conduit à la Galerie, il y fait fort
bien. Je ne sais à qui tu as cette obligation. Content de l'effet qu'il faisait
à sa première place, je n'ai point sollicité son déplacement. J'aime mieux
qu'on se soit donné cette peine pour toi, sans qu'on l'ait demandé. Il prouve
que tes ouvrages méritent la peine qu'on s'en occupe. Il est plus élevé sans
l'être trop. »
[76]
.
Dans
la marge de cette dernière lettre, Constance a rajouté elle même en datant son
annotation (1833) : « C'était le sujet de La jeunesse bienfaisante. ».
On
le voit, Constance tenait particulièrement à « La jeunesse bienfaisante »,
avait essuyé quelques commentaires désobligeants et éprouvait, quoiqu'elle en
dise, un peu de dépit à ce qu'il ne soit pas mieux reconnu, en particulier par
Gérard avec lequel elle travaillait alors. On voit également que ce tableau a été déplacé après l'ouverture
du Salon et accroché « dans le coin du
salon près de la porte qui conduit à la galerie ». N'est-ce pas là que le
tableau controversé apparaît sur la gravure de Monsaldy et Devisme ? « La
jeunesse bienfaisante » ne signifiait il pas, pour Constance, non pas « la
jeunesse qui fait le bien » mais « la jeunesse qui fait bien », celle qui peint
avec enthousiasme, ce que suggère le portrait ? On a fait remarquer que ce
portrait est proche, par sa manière, de celui de Mme Pagnière-Drölling peint
par Gérard
[77]
;
or précisément, on vient de le dire, Constance travaillait désormais avec
Gérard. Sa réaction, qu’il faut bien assimiler à du dépit, peut faire penser
qu'elle s'était efforcée d'aller dans son sens. Enfin, si l'on considère les
dessins qu’elle a faits de deux de ses élèves, Mlle Eulalie Gillé et de Mlle
Sophie Cahou
[78]
, il est
difficile de ne pas trouver de ressemblances dans la finesse de l'exécution des
visages, dans les robes et même dans les attitudes des modèles. Il est vrai que
comparaison n'est pas raison, qu'il s'agit de dessins sans couleurs et sans
l'effet de contrejour qui fait le charme du portrait de « Mlle du Val
d'Ognes » et qu'il n'y a pas non plus dans les dessins le mouvement du
tableau. Mais les tons subtilement nuancés du blanc de la robe de « Mlle
du Val d’Ognes » rappellent ceux de « La Mélancolie ».
Alors,
Constance, emportée par l’exemple de Gérard, aurait-elle pu réaliser cette
merveille ?
En
avril 1996, une spécialiste américaine, Margaret O. Oppenheimer, fait paraître
une étude
[79]
sur
Marie-Denise Villers (1774-1821), élève de Girodet dont on a vu qu’elle avait
bénéficié elle aussi d’un prix d’encouragement de Vème classe en 1799, étude dans
laquelle elle se fonde sur les différences évidentes entre la
« Mélancolie » de Constance Charpentier et « Mlle du Val
d’Ognes » (mais à sujet différent, ne peut-on supposer une facture
différente ?), sur une similitude de style avec l’ « Etude d’une
jeune femme assise sur une fenêtre » de Marie-Denise Villers (ce qui est
exact) et, enfin, sur le tableau de Gérard « Portrait de la comtesse de
Morel-Vindé et sa fille » dont celle-ci « aurait pu avoir
connaissance et s’inspirer » (alors que Constance Charpentier, elle,
travaillait avec Gérard…), pour en déduire qu’il convient de le lui attribuer
et de le rebaptiser simplement « Jeune fille dessinant » (« Young
woman drawing »). Elle fait remarquer également, ce qui est exact, que
Monsaldy, dans ses dessins préparatoires à son tableau des tableaux
[80]
a placé l’un à côté de l’autre l’ « Etude d’une jeune femme assise
sur une fenêtre » et le tableau en cause, circonstance pouvant faire
penser que l’un et l’autre sont du même auteur. Elle oublie cependant de
préciser que Monsaldy mentionne le nom de Marie-Denise Villers sous le second mais
en assortissant cette mention d’une flèche dirigée vers le premier … Monsaldy a-t-il
voulu indiquer par cette flèche qu’il avait réalisé que le tableau controversé
n’était pas l’œuvre de Marie-Denise Villers (mais sans mentionner alors son
auteur) ou bien que le premier tableau était « lui aussi » de
Marie-Denise Villers ( l’ « Etude d’une jeune femme assise sur une
fenêtre » est incontestablement son oeuvre) ? On ne sait.
En
définitive, à considérer toutes ces ambiguïtés, le portrait controversé
pourrait-il être « La jeunesse bienveillante » ? Eh bien non, c’est
impossible. Pour une raison extrêmement simple qui tient aux tailles
respectives des deux tableaux : La « Jeune fille dessinant »
fait 1,61 m de haut sur 1,30 m de large, ce que tout le monde peut vérifier au
MET. Tandis que « La jeunesse bienfaisante » a été enregistrée au
livret du Salon comme ayant 3 pieds 5 pouces de haut (1 m) sur 4 pieds 5 pouces
de large (1,30 m)
[81]
.
Il
ne reste donc, parmi les tableaux exposés par Constance au Salon de 1801, que
le « Portrait de femme » enregistré ainsi au livret sous le n° 60 sans
aucune indication de dimension, portrait auquel se réfère Ducray-Dumesnil dont
l’appréciation avait retenu l’attention de Charles Sterling. Mais il faut bien
reconnaître que la référence manque de précisions. Quant au « coin du Salon
près de la porte qui conduit à la galerie », cité par
François-Victor, est-ce vraiment le coin
qui apparait sur le tableau de Monsaldy ?
Allons,
force est d'en rester là et de laisser à ceux qui pensent pouvoir et devoir
trancher la question de l'attribution du charmant tableau dénommé alors «
Portrait de Mlle du Val d'Ognes » le soin de le faire. Le Metropolitan Museum
of Art a maintenu l’attribution du tableau à Constance Charpentier jusqu’en
2007. Il le désigne aujourd’hui sous le titre une « Jeune fille
dessinant » et mentionne qu’il « a été attribué à Marie-Denise
Villers, peintre française peu connue, dont il pourrait être un
autoportrait ».
[82]
Voilà.
On aimerait que la « Jeune fille dessinant » ait été peint par
Constance. Et l’on ne sait pas ce que représentait « La jeunesse
bienfaisante ».
Revenons
donc, un peu mélancoliquement pour notre part, à 1801. Constance, revigorée,
quitte Noyon et rentre à Paris. Un membre de sa famille lui fait parvenir ce
petit couplet, témoin de l'esprit d'une époque où le pathos des SMS n'avait pas
encore fait ses ravages et qui, on le conçoit, peut faire sourire
aujourd’hui :
« A Mde Constance Charpentier
Sur
son départ
Air : je l'ay planté je l'ay vu naître
Constance part, cède sa place
Aux grâces, ses aimables soeurs ;
Sans craindre que l'absence efface
Son image dans tous les cœurs. (bis)
Ainsi va le train de la vie ;
Le plaisir se change en regrets,
Mais tes talents, ta modestie,
Du temps sont à l'abri des traits.
(bis)
Bonne parente et tendre amie
De ses coups bravons les effets ;
Quand par la constance embellie
L'amitié
ne vieillit jamais. (bis) »
[83]
La Mélancolie – Constance Charpentier – Salon de 1801 n° 58 – (Musée de Picardie, Amiens)
La Mélancolie – Constance Charpentier – Modello – (C.P.)
Jeune femme dessinant – Metropolitan museum of art – (New-York)
(Portrait de Mlle du Val
d’Ognes)
Le tableau des tableaux de Monsaldy et Devismes .
Le tableau controversé est nettement visible dans le coin de la galerie entre les deux tableaux ovales.
Portrait de femme qui déjeune Portrait d’homme cachetant une lettre
Constance Charpentier – Salon de 1801
Mlles Eulalie Gillé et Sophie Cahou – Constance Charpentier – Dessins (C.P.)
Lettre de François-Victor à Constance mentionnant l’emplacement
finalement réservé à « La jeunesse bienfaisante »
identifiée par la mention manuscrite de Constance en 1833.
Passé
le salon de 1801, Constance attend le Salon de 1804 pour exposer à nouveau.
C’est
que, malheureusement, un drame est survenu. La petite Julie-Constance est morte
en effet au début de 1803, âgée de neuf ans, des suites d’un absurde accident
ménager. Qui peut évoquer la peine infinie de Constance devant sa fille unique
dont les rires se sont définitivement éteints ?
[84]
« Terre de peine et de douleur » gémit-elle dans une lettre adressée
à son oncle curé Charles Debacq
[85]
.
Mais
la rage de vivre et le refus de la résignation l’emportent chez François-Victor
et Constance. Le 31 mars 1804, à 37 ans, Constance accouche à nouveau d'une petite
fille. En ces temps où la mortalité infantile était considérable, il n'était
pas rare que les parents redonnent à un nouveau né le même prénom que celui
d'un enfant disparu prématurément. La première fille de François-Victor et de
Constance s'était appelée Julie-Constance. C’est donc à nouveau
Julie-Constance.
Moins
de deux mois plus tard, le 17 mai 1804, François-Jérôme Charpentier disparait à
l'âge de 80 ans.
[86]
Cet
homme discret, efficace et fidèle à sa famille laisse à nouveau les deux fils
de Danton, alors âgés de 12 et 14 ans, sans protection. Il revient à François-Victor,
subrogé tuteur, de le remplacer. Mais les choses n'ont pas du bien se passer
entre les deux adolescents et leur nouvelle famille où vagit un nouveau né, où
le père est accaparé par ses fonctions administratives et ses relations
diverses et où la mère est, à nouveau, toute à sa peinture. D'un autre côté,
leur jeune belle-mère, Louise-Sébastienne qui aimait tant s'occuper d'eux dans
leur tendre enfance, a depuis longtemps pris le large en épousant le 10 avril
1796 Claude-François- Etienne Dupin qui a été nommé, en 1800, préfet des Deux
Sèvres par le Premier Consul. Antoine et
François-Georges Danton, devenus adultes, raconteront dans un mémoire écrit en
1846 qu'ils partirent dès 1805 pour Arcis-sur-Aube, chez leur grand-mère
paternelle auprès de laquelle ils passèrent leur jeunesse.
[87]
En
dépit de tous ces évènements familiaux, Constance présente au Salon qui ouvre ses portes le 18
septembre (1er jour complémentaire) 1804 plusieurs tableaux: « Une mère convalescente soignée par ses enfantes » (n°
94), « Portrait d'une jeune personne montrant à lire à ses enfants » (n° 95) et
plusieurs portraits sous le même numéro (n° 96). Il n'y a aucune trace connue
de ces tableaux.
Mais
puisque l'on vient d'évoquer Claude-François-Etienne Dupin, dont on se rappelle
qu'ami de François-Victor, il faisait partie du petit cercle de la cour du
Commerce, on peut mentionner ici son portrait fait par Constance
[88]
.
L’intéressé est devenu baron d’Empire et son action apaisante en Vendée est
reconnue. Voilà Louise-Sébastienne baronne. Les empressements de
Georges-Jacques Danton sont loin. Mais, pour l’époque, c’est banalité. Il faut
bien vivre et, malgré les routes divergentes, les liens d’amitié entre les
anciens fidèles de la cour du Commerce restent vivaces.
Pour
le Salon de 1806, Constance imagine ce qu'il est convenu d'appeler une scène de
genre. Exposé sous le n° 94, son intitulé « Un tableau de famille : Un aveugle entouré de ses enfants est consolé
de la perte de la vue par la jouissance des quatre autres sens » est qualifié « de scène assez bizarre de son
invention » ou « d'une invention compliquée » dans certaines biographies. Pourtant
le thème est simple et peut-être aisément résumé : le père est aveugle -
c'est la vue ; son fils met une pomme dans sa main - c'est le goût ;
son épouse joue de la guitare - c'est l'ouïe ; l'une de ses fille respire
une fleur - c'est l'odorat ; et l'autre dépose un baiser sur sa main -
c'est le toucher. C’est d’ailleurs un thème assez classique et repris par de
nombreux peintres de l’époque. Le tableau, bien endommagé pour la raison déjà
indiquée à propos des deux « Veuves » et longtemps conservé par la
famille du peintre, a été vendu en 1990
[89]
.
On ne peut pas ne pas remarquer la finesse et la précision de l’exécution
picturale. On peut même noter la robe blanche de l'épouse. Toujours la
prédilection de Constance pour cette couleur… Mais il est vrai, sur ce point,
qu’elle était dans l’air du temps : la mode était au blanc et tous les
portraitistes de l’époque en ont abondamment usé.
Peut-être
est-ce aussi de cette époque qu'il faut dater le portrait à la pierre noire et
à la craie sur papier vélin qui se trouve aujourd'hui au musée Magnin de Dijon.
Il représente une femme de 35 à 40 ans, vêtue d'une robe légère à taille haute
selon la mode de l'Empire, la tête de profil et les cheveux relevés en chignon.
Le modèle affiche le demi-sourire d'une femme dans la plénitude de son âge que
l'on sent épanouie. La touche est délicate et le dessin d'une grande finesse.
Ce dessin est, de toute évidence et bien que non signé, l'oeuvre de Constance.
Une première version ou esquisse existe en effet
[90]
.
Est-ce un autoportrait ? M. Magnin a identifié comme tel ce portrait, apparu
dans une vente du 24 juin 1910 où figuraient plusieurs dessins du même auteur,
avec des arguments fondés essentiellement sur une grande ressemblance des
traits, en dépit de la différence d'âge, avec les « trois bustes présumés
d'elle par Chinard (vente du comte de Ponha Longa du 2 décembre 1911) ». Soit.
On ne peut cependant se défendre d'un léger doute quand l'on rapproche ce
portrait de l'autoportrait de 1797, du portrait de l’auteur et de sa fille de
1799 et de celui de 1828 évoqué plus loin, qui encadrent donc,
chronologiquement, celui ci. Il est vrai que ces trois tableaux traitent le
sujet de face et que le rapprochement avec un profil ne va pas de soi. Laissons
donc de côté ce doute fugace.
Au Salon de 1808, Constance expose un tableau: « Première cure d'un jeune
médecin » (n° 114) et « Portraits et études. Même numéro » (n° 115).
La
« Première cure d'un jeune médecin » a sa petite histoire.
On
comprend tout d'abord que le titre doit s'entendre comme les premiers soins
donnés par un jeune médecin. Constance l'a commencé avant l'été 1807. Dans une
longue lettre écrite les 6, 8 et 9 octobre 1807, adressée à un jeune homme
d'une vingtaine d'années qui a été son élève en peinture, qui se destine à la
médecine et pour lequel elle a de l'amitié, déplorant que sa fille soit trop
jeune pour qu'il puisse être son gendre mais le rêvant comme neveu, Constance
en vient à lui parler de ce qui la touche: « Je mets de ce nombre mon mari, ma
fille, ma mère et la peinture ... les trois premiers se portent assez bien et
pensent souvent à vous sans que j'aie besoin de leur en rafraîchir la mémoire.
Quant à la peinture, elle se portait assez bien aussi jusqu'au jour où j'ai
reçu votre lettre (qui est arrivée fort à propos pour me distraire d'un petit accident
qui m'a causé un grand chagrin). Vous savez avec quel zèle je travaillais à
l'instant de votre départ à mon tableau, première cure d'un jeune médecin. Je
l'avais beaucoup avancé depuis, mon jeune médecin était devenu digne de la
malade, toutes les dames étaient enchantées du médecin, tous les messieurs
étaient fous de la malade. Eh bien ! ... Ô jour de malheur et de désespoir !
... (Si je n'avais pas reçu votre lettre ce jour là) ... mon tableau est crevé
! ... crevé par le beau milieu, le visage du jeune homme tout déchiré... C'est
pourtant votre petite Constance qui a fait ce tour là ! Et vous l'aimerez
encore j'en suis sûre ! Eh bien ! Moi aussi. Je ne l'ai même pas grondée, la
pauvre enfant, elle était aussi saisie que moi, son papa a été obligé de la
caresser pour la consoler. Sérieusement je suis désolée, dégoûtée, impatientée.
Je ne le crois pas raccommodable mais le fût-il, je crois que je n'en aurai pas
le courage. Je suis partie le lendemain pour la campagne où je me trouve
maintenant ... »
[91]
. Il
faut croire que, passé ce sentiment de découragement compréhensible et
requinquée par son séjour à la campagne, Constance a eu le courage de faire ce
qu'elle craignait de ne pouvoir accomplir. La « Première cure d'un jeune
médecin » a donc été exposée au Salon de 1808 et le sera à nouveau au Salon de
1814.
Quant
au jeune médecin en question, il n’est pas besoin d’aller chercher bien loin
celui qui servit vraisemblablement de modèle à Constance. On a vu
Charles-Daniel Gaultier de Claubry, tiré des geôles de la Grande Terreur par
Danton, accoucher Constance de sa deuxième fille et fuir avec femme et enfants
à Blois. Il en est revenu en 1799, s’est réinstallé et a repris sa pratique de
la médecine. Marie-Angélique, François-Victor et Constance ont retrouvé avec
une joie immense le vieil ami coutumier du petit monde de la Cour du Commerce,
le gynécologue de talent qui avait présidé aux naissances des enfants
d’Antoinette-Gabrielle et, bien sûr, de Constance. Les liens avec
Charles-Daniel et son épouse Henriette se resserrent. On admire les brillantes
études de leurs trois garçons, Emmanuel, Nestor et Henri, qui ont maintenant 23
ans, 19 ans et 16 ans. Emmanuel est chirurgien-major dans les armées
impériales. Nestor vient d’être reçu docteur en chirurgie à l’école de Paris.
Henri termine ses études de pharmacie et travaille déjà dans les officines,
réputées à l’époque, Pelletier qui est rue Jacob à proximité immédiate du
domicile familial, et Boudet
[92]
.
Constance traduit son admiration comme elle sait le faire : « La
première cure d’un jeune médecin » célèbre l’entrée de Nestor dans une
carrière médicale que l’on peut penser prometteuse.
Parmi
les portraits exposés sous l'unique n° 115, devait se trouver un charmant
tableau intitulé « La jeune fille à la perle », fort heureusement signé
(Blondelu Charpentier fecit) et daté (1807)
[93]
.
Si l’on ne sait pas qui en fut le modèle, sa fraîcheur et sa spontanéité
parlent d’elles-mêmes.
Ses
travaux acharnés en vue des Salons n'empêchent pas Constance de faire le
portrait de celle qui lui tient le plus à coeur. Compte tenu de l'âge de la
fillette, c'est de 1808 également qu'il faut dater celui de sa fille Julie-Constance
alors âgée de quatre ans. Petite fille sage, les mains jointes devant elle,
assise devant un paysage, frimousse ronde entourée de cheveux blonds, robe
blanche bien sûr, avec ceinture rouge en taille haute et petits souliers rouges
[94]
.
Oublié pour la postérité l'accident malheureux de la « Première cure d'un jeune
médecin ». Il reste l’amour maternel exprimé par le talent de l’artiste qui se
retrouve dans le charmant dessin d'une petite fille endormie - à l'évidence
Julie-Constance – qui date de la même époque
[95]
.
Il
y a longtemps que les grands évènements de la politique nationale n'ont plus de
conséquences sur la vie de Constance. La démesure de l'Empire en Europe
n'atteint pas le 35 de la rue de l'Odéon. Constance a aménagé l'une des pièces
du troisième étage en atelier, précision trouvée dans l'inventaire du 16 mai
1810 dont il va être question. Elle est là à son aise, à l’abri des bruits de
la ville et de l’agitation du monde, pour peindre, bien emmitouflée, les
connaissances ou amies qui se présentent. Ainsi apparait-elle dans
l’ « Atelier du peintre »
[96]
où elle se représente elle-même, enveloppée d’un grand châle, un chapeau à bord
la préservant d’une arrivée trop directe de la lumière provenant de la fenêtre
assez haute pour procurer un bon éclairage des deux modèles situés au centre de
la pièce. Les murs sont couverts de tableaux, notamment de paysages. Quand elle
était à Noyon, en 1801, Constance racontait dans ses lettres à François-Victor
son émotion devant les paysages où ses promenades la menaient. Elle n’avait pas
eu alors le temps de les peindre. Depuis, elle s’était rattrapée. Mais
aujourd’hui on n’en connait que deux
[97]
.
Période
heureuse pour Constance. Julie-Constance grandit sans problème particulier.
Marie-Angélique s’en occupe et dispense aussi Constance d’une grande partie des
charges de la vie quotidienne. François-Victor, mari affectueux et père
attentif, en plus de ses fonctions au département de la Seine où il est
maintenant « chef de division », est associé avec un certain M. Levrat dans une
société de fabrication de « plaqués » située au n° 19 de la rue Richer
[98]
.
François-Victor est décidément un homme dynamique et entreprenant.
Mais
la vie est ainsi faite. La camarde n’est jamais loin. François-Victor meurt le
5 mai 1810 à quarante neuf ans. « Terre de peine et de douleur » à
nouveau, subit Constance.
Julie-Constance,
qui a juste six ans, est désignée comme sa seule héritière, sa mère étant sa
tutrice légale. Marc-Antoine Gely est subrogé tuteur. On avait laissé celui-ci
employé à la marine en 1792. Il est maintenant – peut-être François-Victor y
a-t-il été pour quelque chose - employé
à la préfecture du département de la Seine. Il habite toujours Cour du
Commerce. Une délibération de « parents et amis » a eu lieu le 14 mai 1810 devant le juge de paix du
11° arrondissement
[99]
.
La proposition lui a été faite. Il a
accepté. On le voit, les liens ne se sont pas distendus entre Constance et la
famille Gely.
Le
long et exhaustif inventaire du 16 mai 1810 dressé après le décès de François-Victor
montre tout d'abord que Constance n'était pas femme à laisser les choses
traîner. Dès le 26 mai elle obtient du juge des référés du tribunal civil de la
Seine l'autorisation de gérer et d’administrer tous les biens lui revenant du
fait de la communauté de biens ayant existée avec son époux. Elle n'est pas non
plus femme à se laisser faire : elle exige et obtient un inventaire de la
société de plaqués, aux termes duquel un droit de 27 654,32 F lui est reconnu
[100]
.
L’inventaire
nous fait pénétrer dans un intérieur bourgeois qui ne manquait manifestement
pas de confort, tout au moins à l'aune de ce temps : un salon confortable, une
bibliothèque où l'on trouve, reliés, aussi bien un Voltaire en quarante volumes
ainsi qu'une Histoire philosophique et les œuvres de Montesquieu en vingt six
volumes (ceci, c'est peut être François-Victor) que la correspondance de Mme de
Sévigné (cela, c'est peut être Constance). II y a des bijoux, mais peu
d'argenterie. Une liste de quatorze tableaux est donnée sous la rubrique «
Ouvrages de Mme Charpentier ». On y trouve notamment « Le père aveugle » (c'est
à dire « Les cinq sens »), « La première cure d'un jeune médecin » et les deux
« Veuves ».
Voilà
donc Constance veuve, restant seule avec sa mère de soixante-dix ans et sa
fille de six ans. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, qu'elle n'ait
exposé que « Plusieurs portraits» (n° 155) au Salon de 1810. Si elle a
réussi alors à faire en quelque sorte acte de présence pour ne pas être
oubliée, on comprend qu'en réalité il s'agissait surtout de commandes destinées
à lui procurer quelques revenus. On peut placer ici, faute de pouvoir
clairement les situer dans le temps, le portrait de Jean-Joseph Dubois,
chirurgien dentiste de l'Empereur, et celui de son épouse
[101]
,
attribués à Constance Charpentier avec quelque vraisemblance. En dehors du
point de vue strictement pictural, il est vrai que les liens de Constance avec le milieu de la médecine sont
constants, comme en témoigne encore une lettre du 8 octobre 1810 d'un certain
Fromentin Dupreux, docteur en médecine, qui se désole longuement de se
retrouver loin du milieu artiste de Paris, perdu qu'il est aux fins fonds de la
Champagne à soigner des malades qui lui avouent être allés consulter d'abord le
sorcier rebouteux local. Alors, un chirurgien dentiste de l’Empereur, pourquoi
pas ?
Passé
le choc de la perte d’un mari aimé et l’essentiel ayant été fait pour assurer
le quotidien, Constance se réfugie, une fois de plus, dans la peinture et
prépare le Salon qui doit ouvrir ses
portes le 1er novembre 1812. Elle y
expose trois scènes de genre : « Une mère recevant la confidence de sa fille »
(n° 183), « Une jeune fille tenant un nid de fauvettes » (n° 184) et «
L'absence. Etude de femme » (n° 185) ; trois portraits : « Portrait de Mme la
baronne Dupin » (n° 186), « Portrait de Mlle Aug. Jodot » (n° 187) et «
Portrait de M. Larey, major de cavalerie, et de son épouse » (n° 188) ; ainsi
que d'autres portraits sous le même numéro (n° 189). Production importante. La
peinture est désormais l’un des moyens d’existence de Constance, de sa mère et de
sa fille.
Le
premier nommé de ces portraits, « Une mère recevant la confidence de sa
fille », subsiste heureusement dans une collection privée. Le tableau
n’est, comme à l’accoutumée, pas signé mais une tradition familiale catégorique
le désigne comme étant l’œuvre de Constance Charpentier. Cela semble,
d’ailleurs, difficilement contestable. On est à nouveau dans un intérieur
bourgeois. Si on le rapproche de celui décrit dans les « Cinq sens »,
on voit que le style du mobilier a évolué. Il est maintenant résolument
« Empire », mais le tapis ressemble fort à celui des « Cinq
sens ». Le canapé sur lequel sont assises les deux protagonistes est
curieusement placé devant une grande glace, mais cela permet à notre peintre de
réaliser un heureux effet de miroir. Les visages ont la finesse que Constance
sait donner à ses personnages féminins. Le sujet, lui, est encore une fois essentiellement
féminin. La jeune fille, vêtue d’une longue robe blanche à la mode élégante de
ce temps là (toujours le blanc préféré de Constance), revient manifestement
d’un bal, il est tard, et ses confidences troublées et pudiques ont du mal à
répondre aux interrogations de sa mère, solide bourgeoise en peignoir
d’intérieur, qui aimerait bien savoir quel museau se cache derrière tant
d’émotion. En 1812, Julie-Constance n’avait que 8 ans. Constance, en donnant
libre cours à son imagination pour élaborer cette scène intime avec des
personnages de fiction, se transportait-elle quelques années plus tard quand sa
fille serait en âge de lui revenir, un soir, dans les mêmes dispositions ?
On se plait à l’imaginer nous-mêmes.
Charles
Gabet mentionne qu’« Une jeune fille tenant un nid de
fauvettes » a été acheté par un M.
de Sacy. Il s'agit d'Antoine-Isaac-Silvestre de Sacy (1752 – 1838). M. de Sacy
n’était pas un inconnu pour Constance. Le nom est évoqué par elle dans
certaines de ses lettres. Son fils était un ami d’Alfred Donné qui était, on
l’a vu, lui-même le petit-fils de la chère tante Blondelu. Alfred Donné viendra
fréquemment voir Constance lorsqu’il fera ses études au collège de Juilly près
de Paris dans les années 1814 à 1821.
[102]
Bref, c’est toujours la mouvance de Noyon. La fidélité en amitié ne se dément
pas, surtout quand le malheur vient de frapper.
La
trace du portrait de « Mme la Baronne Dupin », qui est évidemment celui de
Louise-Sébastienne ex-Gely ex-Danton, a été retrouvée sous la forme d’une
photographie annexée à un court article sur l’intéressée paru dans
« L’intermédiaire » du 20 janvier 1911
[103]
.
Il y est précisé que ce tableau, œuvre de Constance Charpentier, se trouvait
alors en possession « d’un descendant de Claude Dupin ».
« Mme
la baronne Dupin » - Constance Charpentier – Salon de 1812
Un aveugle entouré de ses enfants est consolé de la perte de la vue par les jouissances des quatre autres sens (plus communément appelé « Les cinq sens ») – Constance Charpentier – Salon de 1806
Lithographie du
portrait du baron Claude-François-Etienne Dupin par Constance Charpentier
Autoportrait de Constance Charpentier Dessin par Constance Charpentier (C.P.) (Dijon – Musée Magnin)
La jeune
fille à la perle – Constance Charpentier
Portrait de Julie Constance Charpentier par Constance Charpentier (C.P.)
Petite fille endormie –
Dessin par Constance Charpentier (C.P.)
L’atelier du peintre – Constance Charpentier – (C.P.) Paysage – Constance Charpentier
Julie-Constance Charpentier à neuf
ans – Constance Charpentier (C.P.)
Une mère recevant la confidence de sa fille – Constance Charpentier – Salon de 1812 (C.P.)
Jean Joseph Dubois, chirurgien dentiste de l’Empereur, et son épouse.
Portraits attribués à Constance Charpentier
Les
remous politiques, avons nous dit, n'atteignent plus Constance. Mais comment la
démesure de l'Empire qui domine l'Europe et lance une armée de 600 000 hommes à
l'assaut de la Russie n'aurait-elle pas de conséquences sur une multitude de
destins individuels ? Voilà l'un de ceux ci, attesté par neuf lettres
soigneusement conservées par Constance
[104]
.
Il
s'agit d'un certain Firmin qui signe ses lettres « Firmin D.m.p. ». Il est
médecin, encore un, et il se meurt
d'amour pour une demoiselle « L. », dont on ne saura rien de plus sinon qu'elle
est manifestement élève de Constance. Firmin, désignons le ainsi, a fait à
Constance, qu'il appelle sa « bonne mère », ses confidences au cours de
promenades au Luxembourg et doit être un habitué du 35 rue de l'Odéon car il
mentionne à plusieurs reprises M. Brière,
époux de Julie-Thérèse Bignot cousine de Constance, et n'oublie pas de citer Julie-Constance.
Malheureusement, les choses ne se sont pas bien passées entre L. et Firmin.
Moyennant quoi, après lui avoir demandé de l'oublier, L. tombe malade et
Firmin, désespéré, part aux armées. Le désespoir d'un amoureux malheureux de
cette époque s'exprime par écrit avec des mots qui, aujourd'hui, nous font
sourire. Ainsi :
«
La fleur de ma vie est fanée,
Il fut rapide mon destin
Et de mon orageuse journée
Le soir toucha jusqu'au matin. »
Firmin
est à Bruxelles le 23 février 1812. Il loge chez le Commissaire impérial de
Bruxelles qui est un solide et aimable flamand. Il a le temps de visiter le
musée et de faire part à Constance de ses émotions esthétiques à la vue de
tableaux de Rembrandt, Van Dick et Rubens. Le 8 mars 1812, il se désole que Constance
aussi soit tombée malade, ses démêlés avec L. en étant apparemment la cause, et
lui annonce, puisqu'il n'y a plus aucun espoir de ce côté, qu'il a demandé à
partir dans un corps d'armée qui l'éloigne de la France. Le 22 avril 1812, il
est à Stettin, à proximité de la Baltique sur la frontière actuelle entre
l'Allemagne et la Pologne. Le 6 juillet 1812, il est à Wilnia, actuelle Vilnius
capitale de la Lituanie. Il ne parle pas des ravages commis par l'armée
française dans cette ville mais commence à déplorer sur un mode général la
tristesse que lui inspirent les malheurs que s'infligent les hommes, tout en
revenant au sujet qui le relie à Constance et en se réjouissant du
rétablissement de L. qui a recommencé à travailler. Il espère obtenir le poste
de médecin en second de la Garde impériale. Il ajoute que, compte tenu des
mouvements constants de l'armée, Constance doit lui écrire à : « 1ère division
de la Garde Impériale - Grande armée d'Allemagne » sans autre précision. Cela
arrivera ; ce qui en dit long sur l’ampleur et l’efficacité des services
auxiliaires de la grande armée, tout au moins pendant le « trajet
Aller ».
Puis,
c'est le silence. Car Firmin fait toute la campagne de Russie jusqu'à Moscou.
De retour à Magdebourg (sud ouest de Berlin), après la débâcle que l'on sait,
sa lettre du 5 février 1813 ne s'étend pas sur ce qu'il a subi mais il avoue
que « son enthousiasme s'est éteint » et qu'il « se sent comme une fontaine
tarie ». Le 12 mars 1813, le voilà près d'Erfurt (sud ouest de Magdebourg) en
charge d'un hôpital militaire. Il éprouve « depuis son retour de Moscou »,
dit-il, « le plaisir de se montrer sain et sauf à ses amis, après un si
périlleux voyage » : belle litote ou, si l'on préfère, belle pudeur pour
désigner la terrible retraite de Russie. Mais l'on sent bien que l'homme est
profondément atteint et que ses états d'âme de 1812 sont passés au second plan,
repoussés par les souffrances subies au cours d'une terrible guerre.
Sur
sa dernière lettre, datée du « Grand Quartier Général à Halberstadt » le 24
avril 1813, Constance a noté: « M. Firmin, décédé en ». Le coin déchiré de la
lettre ne permet pas de connaître la date. Il ne serait pas étonnant qu'il
n'ait pas survécu aux dernières convulsions militaires de l'Empire. Pour avoir
précieusement conservé ses lettres, Constance a du être marquée elle même par
les déboires sentimentaux de ce jeune médecin et de son élève qui ont trouvé
leur terme, pour le premier, dans les horreurs des combats et, pour la seconde,
dans une dépression suivie de l'oubli. C'est toujours le thème de la « Veuve
d'une journée » et de la « Veuve
d'une année », moins le mariage préalable.
Revenons
rue de l'Odéon.
En
1813, Julie-Constance a neuf ans. Entre deux tableaux, sa mère en fait un
dessin au crayon
[105]
.
La ressemblance avec le portrait de la petite fille du tableau de 1808 est
évidente. Constance a mentionné au crayon: « Constance Charpentier âgée de neuf
ans ». Il aurait mieux valu préciser « Julie-Constance ». Mais la précision
n'est pas le fort de Constance : elle avoue dans certaines lettres, qu'elle ne
signe pas mais qui sont évidemment d'elle en raison de leur contexte, ne pas
savoir quel jour elle écrit. Elle ne signe pas non plus, bien malheureusement,
beaucoup de ses tableaux. Pardonnons-lui. On ne peut à la fois avoir l'esprit
plein de formes et de couleurs et porter attention aux détails qui n'auraient,
au bout du compte, que le mérite de simplifier la tâche de celui qui tente de
la faire revivre ...
Disons
également à sa décharge qu'elle est désormais seule pour subvenir à ses
besoins, à ceux de sa mère et à ceux de sa fille dont il faut assurer
l'éducation. Constance vit pour et par la peinture. Les portraits qu'elle peint
doivent lui assurer les revenus nécessaires. Les leçons qu'elle donne à ses
élèves en sont le complément indispensable. Tout cela prend du temps et les
journées n'ont décidément que vingt quatre heures. Il n'est pas étonnant, dans
ces conditions, qu'elle n'ait guère de temps à consacrer aux séquelles du
tutorat que François-Victor était censé exercer sur les deux fils de Danton. En
1813, ils ont respectivement 24 et 22 ans et prennent leurs vies en mains. La
ferme de Nuisement est vendue cette année là et Antoine lance une « manufacture
». Les deux frères entendent également récupérer ce qui reste de l'héritage de
leur père. Il s'agit de tableaux qui se trouvent encore rue de l'Odéon. Ils
font le voyage d'Arcis-sur-Aube à Paris. Pas de chance, Constance n'est pas
chez elle ce jour là. Dans une lettre du 19 mai 1814
[106]
,
Constance se désole de ce contretemps. Elle n'a pas eu le temps de les remettre
en état mais elle précise qu'elle est en train de le faire : les deux portraits
de leur mère, celui de leur oncle Victor et de leur mère encore enfant sont
nettoyés et vernis ; elle a repris et amélioré celui de leur père que Mme
Dupin, « qui est venue le voir », trouve très ressemblant. Le tableau, qu’elle
avait commencé en 1793 et qu’elle termine donc en 1814, se trouve aujourd’hui
au musée Carnavalet
[107]
.
Constance
avoue n'être capable « ni physiquement ni moralement » d'intervenir dans les
affaires interminables et compliquées de la succession de leur père
[108]
,
souhaite « que l'argent ... employé si utilement pour l'instant » les
garantisse durablement et s'en remet à Marc-Antoine Gely pour faire face aux
demandes concernant « un acte ou papier » pouvant se trouver « dans les papiers
du cabinet de votre Papa ».
Constance
est fidèle. Sa lettre à ses neveux est affectueuse mais elle la termine « à la
hâte, faute de temps ». Elle fait ce qui relève de ce qu'elle sait faire, mais
elle a tellement de choses sur les épaules qu'elle ne peut en faire plus. Qui
pourrait la blâmer de mettre toute son énergie dans la préparation du Salon qui doit s'ouvrir le 1er novembre 1814 ?
La
situation politique évolue rapidement. Napoléon abdique. Le comte de Provence
reprend le pouvoir en tant que Louis XVIII. Le Salon, « Musée Napoléon » sous
l'Empire, devient « Musée royal des arts ». Constance expose. Elle présente à
nouveau « Première cure d'un jeune médecin » (n° 197), tableau déjà exposé au
salon de 1808, « Une dame recevant les confidences de sa fille » (n°198), déjà
exposé au salon de 1812, et ajoute une importante production nouvelle : «
Portrait de deux jeunes filles de M. C., statuaire » (n°200), « Portrait de la
fille de M. B., peintre » (n°201), « Tête de vieillard » (n°202), « Tête de
vieille femme » (n°203) et « Plusieurs portraits, même numéro » (n°204). Aussi
malheureux que cela soit, à l’exception d’ « Une mère recevant la
confidence de sa fille », aucun de ces tableaux ne nous est connu.
En
revanche, les efforts de Constance sont récompensés : une médaille d'or lui est
attribuée.
Charles
Gabet, décidément trahi par son typographe, mentionne qu’une médaille d'or lui
a été attribuée en 1819. Toutes les biographies ultérieures de Constance
Charpentier reprennent cette date sans état d’âme. Or, il n'en est rien. Le
document des archives du Louvre intitulé « Médailles distribuées depuis l'an
XIII jusques et compris 1819 » révèle l’attribution d’une médaille d’or à
Constance - « Charpentier (Mme) » - sous le n° 5 pour l'année 1814. S'il en
était besoin, les mêmes archives comportent un « Etat des médailles en or
accordées par S.M. Louis XVIII aux artistes qui se sont distingués au Salon de
1814 ». « Mme Charpentier » y apparaît dans la liste des peintres récompensés. 1814
donc. Cette fois, Constance obtient une
manifestation explicite de reconnaissance de son talent par ceux de ses
homologues qui décident des artistes qui doivent être distingués parmi la masse
des exposants.
On
pourrait se poser la question de savoir pourquoi la Monarchie restaurée lui a
accordé ce que le Directoire puis l'Empire avaient négligé de lui concéder. Il
faudrait alors suspecter une sorte d'ostracisme fondé sur ses liens avec la
famille Charpentier et sur la fidélité de celle-ci envers Danton et sa
descendance. Mais ce serait attribuer de bien grandes causes politiques à des
faits relevant en réalité du seul domaine de l'art. Avec David, conventionnel,
régicide et chantre de la révolution la plus excessive, avec Gérard, ancien
juré au Tribunal révolutionnaire, le Directoire et l'Empire avaient accepté de
fermer les yeux sur des passés bien plus discutables aux yeux de la monarchie
restaurée que celui de Constance qui n'avait fait qu'épouser le beau-frère de
Danton et qui n'avait pris aucune part à la lutte politique. La vérité apparaît
plus simple. La concurrence entre les très nombreux peintres de grand talent de
cette époque était considérable. Sans même évoquer David, désormais bien au
dessus de toute nécessité de reconnaissance par ses pairs, pensons, parmi bien
d'autres, à Gérard, à Girodet, à Bouillon, et à combien de femmes peintres de
talent qui exposaient aussi.
La
médaille d'or décernée à Constance n'en n'a que plus de valeur et témoigne de
son talent de portraitiste dûment reconnu par ceux que l'on appelait à l'époque
les « connoisseurs». A 47 ans, quinze ans après le prix d’encouragement de 1799
et treize ans après celui de 1801, Constance obtient la consécration qu'elle
attendait depuis longtemps.
(Archives du Louvre)
LE
DERNIER SALON
Le
27 novembre 1815, Marie-Angélique Blondelu décède, rue de l'Odéon, à 75 ans. Sa
fille Constance est sa seule héritière mais l'héritage est fort modeste. La
déclaration faite par Constance et enregistrée le 23 mars 1816 porte sur une
somme totale de 811,33 francs comprenant les meubles et effets, pour 526 F, 211
F de fermages se rapportant à des terres labourables situées dans l'Oise sur
les communes de Maniguelé et de La Neuville Roy et pour 74,33 F de rente d'État.
Constance n'avait évidemment pas d' « espérances », comme l'on disait alors, de
ce côté. En revanche, la disparition de cette mère aimée avec laquelle elle
vivait depuis toujours lui cause une peine réelle et, pour Julie-Constance qui
va sur ses onze ans, la lente dégradation de la santé de sa grand-mère et son
aboutissement inéluctable sont une épreuve douloureuse.
A
48 ans, Constance se retrouve seule avec sa fille dans cet appartement de la
rue de l'Odéon où elle est entrée avec François-Victor vingt-deux ans
auparavant. La « mélancolie » a-t-elle fait son œuvre ? Ce n'est pas impossible
si l'on en juge par une lettre écrite par un ami, Auguste de la Sausaye, le 30
décembre 1815. Celui ci est à Saintes et n'est manifestement pas au courant de
la disparition de sa mère à laquelle il prie Constance de transmettre son
souvenir. Saisissant l'occasion de lui adresser ses vœux de bonne année, il la
taquine en lui demandant si elle ne serait pas atteinte par la paresse en le
laissant sans nouvelles, contrairement à ses habitudes, lui demande « comment
va la peinture ? », avoue que pour sa part il l'a « depuis trois mois
extrêmement négligée », prends la résolution de s'y « arrêter avec assiduité »
car « c'est l'occupation la plus agréable » qu'il connaisse et, flatteur,
ajoute « Que serait-ce donc si j'avais un talent comme le vôtre ? ». Pour que
cette lettre assez banale ait été conservée par Constance, il faut croire
qu'elle a eu pour elle de l'importance, soit parce qu'elle tombait mal en
ravivant une souffrance mal éteinte, soit au contraire parce qu'elle lui a
redonné le courage de repartir.
Quoiqu'il
en soit, Constance a repris ses pinceaux et pendant les trois années suivantes
a réalisé une série de portraits destinés à être exposés. Elle produit ainsi au Salon qui ouvre ses portes le 25
août 1819 le « Portrait de Mme A* *
* en paysanne suisse » (n°212), le «Portrait de Mlle G*** peintre » (n°213), le
« Portrait d'une petite fille » (n°214) et « Plusieurs portraits » sous le même
numéro 215.
Passé
le Salon de 1819, Constance n'a plus jamais exposé. Fatigue, lassitude passée
la cinquantaine, secret regret de la peintre qui ne peut ignorer, malgré la
reconnaissance de son talent par ses contemporains, qu'elle ne fait finalement
pas partie des plus grands et que déployer encore de grands efforts n'y
changerait rien ? On ne sait. Plus simplement peut être, seule avec sa fille
adolescente, n'a-t-elle plus assez de temps à consacrer à son art. Constance ne
manque sûrement pas d'amis ni de relations. Mais il faut bien vivre au jour le
jour, c'est à dire gérer les biens dont elle dispose, donner les leçons de
peinture et de dessin qui procurent l'essentiel, bref assurer l'intendance, ce
qui n'a jamais été propice à la création artistique. Quoiqu'il en soit,
Constance ne semble plus avoir peint que des portraits de sa famille la plus
proche.
Tableau présenté d’abord comme un autoportrait de Constance Charpentier, puis comme celui de Mlle Gaudo son élève.
En
1819, Julie-Constance a quinze ans. Les tourments révolutionnaires en matière
de religion se sont estompés depuis longtemps, plus précisément depuis le
Concordat signé le 15 juillet 1801 entre le premier consul Bonaparte et les
représentants du pape Pie VII. Constance élève sa fille dans la foi catholique
à laquelle ni elle ni sa famille n’ont jamais renoncé même au plus fort de la
tourmente révolutionnaire. Julie-Constance est une adolescente tranquille. Un
premier prix de sagesse – cela existait en ce temps qui est décidément bien
lointain – lui est décerné le 1er août 1819, et aussi un « prix
de persévérance de première classe » en catéchisme ainsi qu’une
« récompense de première classe » en « science »
[113]
.
Quinze ans, c’est tout juste l’éclosion. Il n’y a pas urgence à penser au
mariage. Mais tout de même, pense Constance, il faut bien préparer l’avenir,
sans le brusquer. Elle en a touché un mot aux amis de toujours, Charles-Daniel
et Henriette Gaultier de Claubry.
Charles-Daniel
a 81 ans. Le vieil homme et sa robuste épouse ont eu leurs lots d’épreuves en
dehors même de l’épisode révolutionnaire. Ils ont perdu trois enfants en bas
âge. Et des trois garçons restants, Emmanuel, Nestor et Henri, Nestor, le jeune
et très talentueux médecin de 1808, est mort en 1814, à 25 ans, emporté par une
maladie contractée lors de son service à l’hôpital du Gros Caillou.
Heureusement, Emmanuel et Henri sont
solides et ont entamé de brillantes carrières. Emmanuel, après dix ans passés
dans les armées napoléoniennes en qualité de médecin-chirurgien, s’est marié en
1815 et est, depuis 1816, médecin à l’Ecole Polytechnique. En 1819, il a 34
ans. Henri a 27 ans et, après une formation de pharmacien, est lui aussi à
l’Ecole polytechnique où il est à la fois répétiteur de chimie et préparateur
des cours de Louis-Jacques Thénard
[114]
.
Il est toujours célibataire. Certes, il a douze ans de plus que Julie-Constance
mais, enfin, rien n’empêche d’y penser.
Alors,
en cet été 1819 où Julie-Constance doit recevoir le sacrement de confirmation,
Constance prévoit une petite fête où seront invités tous les Gaultier de
Claubry. Et quand l’archevêque qui doit confirmer Julie-Constance a une
malencontreuse indisposition et que la cérémonie doit être reportée à un lundi
matin, Constance s’assure qu’Emmanuel pourra bien venir le mardi en dépit de
ses obligations professionnelles
[115]
.
Ce qui sous-entend que, venant lui-même, il saura arracher Henri de ses propres
obligations dans le même établissement. A cette époque, il faut veiller à ces
choses là quand on est mère et que l’on veut ménager l’avenir de sa fille.
Et
comme nul ne brusque les choses, le temps passe et les années suivantes
apportent leur lot de deuils. C'est d'abord Charles-Daniel qui disparaît à 83
ans, le 24 octobre 1821. Il habitait alors rue du Dragon. Moins de deux ans
plus tard, le 5 août 1823, c'est la chère tante Blondelu, veuve de Thomas Gely,
qui meurt à Noyon. Pour Constance, ce sont tous les bons souvenirs de ses
séjours revigorants dans cette vieille ville historique qui s'effacent.
Encore
deux ans et ce que Constance espérait finit par se produire : le 17 août 1825,
Henri-François Gaultier de Claubry épouse Julie-Constance Charpentier en
l'église Saint Sulpice. Henri a maintenant 33 ans et Julie Constance 21 ans.
Parmi les témoins, on trouve Jacques-Louis Thénard, membre de l'académie des sciences.
Comment Constance ne serait-elle pas heureuse du mariage de sa fille avec un
homme qui vient d'obtenir son doctorat ès-Sciences et qui bénéficie d'un tel
patronage ? Sauf que, désormais, elle est seule.
Certes,
le jeune ménage - comme l'on dit - n'est pas loin. Il habite au n° 4 de la rue
Servandoni, juste à côté de l’église Saint Sulpice. Et Constance, qui doit
trouver l'appartement du 35 rue de l'Odéon désormais trop grand pour elle
seule, emménage au n° 5 de la rue du Pot de Fer-Saint Sulpice
[116]
.
C'est à deux pas de la rue Servandoni. C'est commode. D'un autre côté, par ses
élèves, Constance garde le contact avec la peinture qui a été toute sa vie. Et,
on l'a déjà dit, elle ne manque pas d'amis. Mais quoi, c'est tout de même la
solitude quand le soir vient.
Alors,
elle se peint elle même, histoire de laisser derrière elle une trace. Cet
autoportrait
[117]
, nous
la montre telle qu'elle se voyait en 1828. La figure est toujours ronde, les
yeux sont vifs mais le sourire est un peu triste. Elle s'entoure de dentelles
et de nœuds de couleur dans les cheveux. Vieille mode, mais on ne se refait
pas. Surtout, elle porte des lunettes, signe d'une presbytie normale pour ses
61 ans mais bien handicapante pour une peintre.
Elle
ne l'empêche pas toutefois de faire encore un portrait de Julie-Constance
parvenue à la maturité d’une femme raffinée et épanouie, comme nous la révèle
la copie talentueuse d’un portrait original malheureusement disparu
[118]
,
ni de saluer à sa manière l'arrivée de ses petits enfants. D'abord Emmanuel, né
le 6 avril 1826, Henri ensuite né le 10 avril 1828 et Constance née le 13 mai
1830. Elle choisit de faire leurs portraits tous les trois au même âge et dans
la même attitude : un an, petit sourire, robe blanche dénudant une épaule et
bonnet blanc
[119]
.
Ce
sont les derniers tableaux connus de Constance Charpentier.
Le
22 août 1833, Julie Constance met au monde un quatrième enfant, Xavier, et
meurt une semaine plus tard, le 29 août 1833. A 29 ans. Après avoir perdu sa
première fille âgée de 9 ans, voilà la deuxième, jeune et belle, mère de
famille, qui disparait à 29 ans. « Terre de peine et de douleurs » toujours. Qu’a-t-elle
fait pour mériter cela ? Qu'ont fait le mari et les enfants de cette jeune
femme pour mériter cela ? Qu'a fait cette jeune mère pour mériter cela ? Rien
de particulier évidemment. Simplement, la médecine de l'époque était encore
incapable de maîtriser une fièvre puerpérale et la jeune science d'Henri Gaultier
de Claubry n'y pouvait rien. Pour Constance, il reste la rage devant la
condition humaine ou l'improbable espérance de la foi et un immense chagrin.
Henri
Gaultier de Claubry se retrouve seul avec ses quatre enfants âgés
respectivement de 7 ans, 5 ans, 3 ans et quelques jours. Sa mère a 77 ans et
disparaitra à son tour deux ans et demi plus tard, le 21 février 1836. Son
frère Emmanuel et son épouse Désirée ont deux enfants. Qui peut s’occuper des
enfants d’Henri sinon leur autre grand-mère, Constance ? A 66 ans, Constance
prend en charge l’éducation de ses quatre petits enfants.
Mais,
outre le fait qu’au temps passé dans les mille occupations de tous les jours
qui en découlent s’ajoute la fatigue qui en résulte, elle ne peut se résoudre à
faire le portrait de Xavier. C’est trop lui demander. Peut-être en a-t-elle
voulu, plus ou moins consciemment, à cet enfant qui avait été, en venant au
monde, la cause de la disparition de sa fille ? Un tel sentiment profond a-t-il
pesé sur les relations de la grand-mère et de l’enfant ? Le caractère tourmenté
et compliqué de l'homme que sera Xavier Gaultier de Claubry trouve-t-il là son
origine ? On ne sait et c'est probablement s'aventurer bien loin dans une
hypothèse fondée sur la seule absence d'un tableau. Mais la douleur profonde,
irrépressible, de Constance est certaine.
Le
temps passe encore. Les enfants grandissent et la génération de Constance
s'efface. En 1837, Antoine Charpentier, l’ancien notaire frère de François-Victor,
disparait. Dans une lettre du 21 juillet 1837 adressée à Constance, le frère de
Françoise Hébert, épouse d'Antoine, cousin et ami d'enfance de ce dernier,
regrette sa disparition alors qu'il avait quelques années de moins que lui.
Constance note « dernière ou avant dernière lettre » ce qui laisse penser que
son auteur n'a pas du survivre très longtemps. Puis, en 1839, c'est au tour de
Françoise Hébert de décéder.
Constance
elle même, marquée par la disparition de sa mère à 75 ans, ne pense pas aller
au delà. Elle subit évidemment les atteintes de l'âge et est souvent « incommodée »
comme on disait alors. Mais le 4 avril 1842 arrive et elle est toujours là. Dès
le 5 avril, elle écrit à l'une de ses élèves : « J'ai donné hier à dîner à
toute ma famille ... famille Gaultier s'entend... C'était un dîner soi disant
pour ma convalescence, c'était aussi pour célébrer l'anniversaire de ma
naissance, le quatre avril où j'ai atteint ma soixante quinzième année ce que
je n'avais jamais espéré voir. Enfin, les voici arrivés ces 75 ans, et l'on me
félicite comme si j'allais devenir immortelle ou du moins si j'étais rajeunie
de moitié. Il n'en est rien pourtant, je vous assure, et la décrépitude va
toujours son train. Au reste, qu’ai-je à faire maintenant ici sinon de me
disposer pour une autre vie ? ... ». Son
moral n'est guère au beau fixe si tant est qu'il puisse jamais l'être quand le poids de l'âge
se fait sentir. Mais l'écriture est encore ferme. Et elle promet à son élève de
revenir sur « la peinture et le dessin de paysage » bien qu'elle s'affaiblisse
« de jour en jour d'une manière sensible ». La passion de la peinture est
toujours là. Quant au mariage prochain que son interlocutrice lui annonce, elle
voudrait bien en savoir un peu plus sur le futur élu tout en se ravisant par
discrétion : « Que m'importe après tout s'il vous rend heureuse. Je connais
trop bien vos principes et votre raison pour craindre que vous vous soyez
décidée légèrement dans une affaire aussi grave»
[120]
.
Constance a toujours été une confidente et, peut être, une guide pour ses
élèves en matière sentimentale.
Constance
Charpentier a vécu encore sept ans. Une vie plus paisible probablement, au fur
et à mesure que les petits enfants grandissaient, et une lente descente vers le
terme ultime. Elle est décédée le 2 août 1849, à l'âge de 82 ans, chez son gendre
Henri Gaultier de Claubry qui habitait alors avec ses enfants au n° 45 de la
rue des Fossés Saint Victor. C’est son petit fils, Emmanuel Gaultier de
Claubry, âgé de 23 ans, qui a procédé aux déclarations nécessaires.
Les
quatre petits enfants de Constance sont ses héritiers, les deux premiers étant
majeurs et les deux autres étant encore mineurs sous la tutelle de leur père,
Henri Gaultier de Claubry. Elle laisse du mobilier évalué à 3 163,50 F et
diverses terres affermées toutes situées dans l'Oise, le produit des fermages
en cours étant évalué à 8 605,35 F.
La
peinture a été sa passion mais elle ne lui a pas apporté la fortune.
Julie-Constance Gaultier de Claubry vers 1830.
(Copie d’un tableau de Constance Charpentier, resté dans la famille du peintre et malheureusement perdu
après l’exécution de cette copie) (C.P.)
Autoportrait – Constance Charpentier-1828(C.P.)
Emmanuel, Henri et Constance Gaultier de Claubry – Constance Charpentier – (C.P.)
Acte de décès de Julie-Constance Charpentier – Décès du 29 août 1833
Acte de décès de Constance Marie Charpentier – Décès du 2 août 1849
La vie de Constance-Marie Charpentier n’a pas
été un long fleuve tranquille. Les circonstances l’ont amenée bien près du cœur
de la Révolution et de ses terribles turbulences sans qu’elle renonce ni à ses
amitiés même périlleuses, ni à l’amour de l’homme qu’elle a épousé au milieu de
la tourmente de la Grande Terreur, ni à sa famille. Elle était fidèle et
attentionnée, maintenant ses relations par un foisonnement de lettres écrites à
la hâte mais qu’il lui aurait coûté de ne pas écrire. Mère de deux filles, elle
les a vues disparaitre prématurément. Sa passion fut la peinture. Elle fut,
avec bien d’autres, une peintre reconnue dans le domaine du portrait. Bien
représentative de l’école dite néo-classique, elle ne fut révolutionnaire ni en
politique ni en peinture même si elle profita, comme les autres, de la
libération des peintres du carcan de l’Académie. Son art est peu en vogue aujourd’hui.
Ses tableaux ne risquent pas de faire exploser les enchères des commissaires
priseurs de France ou d’ailleurs, à une époque où la recherche à tout prix de
nouvelles inventions picturales, qui s’égarent trop souvent dans
l’inconsistant, retient toute l’attention. Constance, elle, peignait ce qu’elle
voyait, avec soin et goût. Elle est reposante.
La
plus grande part de son œuvre, notamment la majeure partie de la cinquantaine
de tableaux exposés au Salon, reste inconnue, éparse dans des collections privées,
si tant est qu’en raison des deux cents ans écoulés depuis leur réalisation
beaucoup n’aient pas disparu purement et simplement. Quant aux difficultés
d’attribution de tableaux non signés, elles sont trop banales pour que l’on
puisse s’en étonner.
On
laissera donc, en guise de conclusion, cette ultime question posée par un
tableau existant toujours dans la lointaine descendance de Constance
Charpentier, non signé bien sûr, et qu’aucun document ni même une tradition
orale ne permettent de lui attribuer formellement. Le sujet est fort classique.
Il s’agit de l’une des très nombreuses compositions inspirées à de fort
nombreux peintres par la célèbre « Vierge de Lorette » de Raphaël.
Pourrait-il être de Constance ? Ah oui ! Il y a la main, cette fameuse main
alanguie. Il y a aussi l’écharpe blanche. Les couleurs de l’arrière-plan ne
sont pas sans rappeler celui du tableau de la petite Julie-Constance. Ce sont
peut-être des indices. Mais sont-ils suffisants ? A chacun de se faire son
opinion.
La Vierge de Lorette
Constance Charpentier ?
Raphaël-Château
de Chantilly
Le
Chesnay, 9 septembre 2009.
ANNEXE
I : GENEALOGIE SOMMAIRE : LIENS BLONDELU, CHARPENTIER, DANTON,
GELY, GAULTIER DE CLAUBRY
François BLONDELU
________I___________
Marie-Anne--Geneviève Pierre-Alexandre-Hyacinthe François-Jérôme CHARPENTIER Jacques DANTON Marc-Antoine GELY Charles-Daniel GAULTIER de CLAUBRY
(1750-1824) (1738-1786) (1724-1804) (1722-1762) (1751-1843) (1738-1881)
Thomas GELY Marie-Angélique Debacq Angélique-Octavie Soldini Marie-Madeleine Camut Marie-Jeanne Leger-Revel Henriette Perrin
(1736-1802) (1740-1815) (1754-1836)
. . . . . .
. . . . . . .
. . Antoine-François . Marie-Antoinette . . . (1758-1837) . Marie-Jeanne .
. . Antoinette-Gabrielle ---------------- Georges-Jacques ---------------- Louise-Sébastienne .
CHARPENTIER . DANTON GELY
. (1760-1793) . (1759-1794) (1776-1856) .
Euphrosine-Anne Constance-Marie ------------------- François-Victor . François-Etienne Dupin
(1777-1847) BLONDELU . CHARPENTIER . (1767-1828) . (1767-1849) . (1761-1810) .
Jean-Baptiste
Adrien . .
DONNE . Antoine
(1760-1814) François-Georges
. Emmanuel
. (1785-1855)
. Désirée Leroux
.
. Nestor
. Julie-Constance (1789-1814)
Alfred (1794-1803)
(1801-1878) Julie-Constance ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Henri
(1804-1833) . (1792-1878)
.
Emmanuel,
Constance, Henri, Xavier
Mentions diverses des tableaux
de Constance Charpentier
1 - Tableaux exposés par Constance Charpentier aux Salons du Louvre
[121]
Salon 1795 :
Par la citoyenne CHARPENTIER, rue du théâtre français.
82 : La petite friande.
83 : Deux portraits ; l’un d’Homme,
et l’autre de femme.
Salon 1798 :
Citoyenne CHARPENTIER, rue du théâtre de l’Odéon,
faubourg Germain.
79 : Portrait en pied du C. F***,
ex-représentant du peuple au Conseil des Anciens.
80 : Portrait d’une femme et de son
enfant.
81 : Portrait d’une femme peintre.
82 : Portrait de l’auteur, ovale.
93 : Un portrait d’homme.
Salon 1799 :
Citoyenne C HARPENTIER.
708 : Deux tableaux faisant
pendant : La veuve d’une année - La
veuve d’une journée. Ils appartiennent à l’auteur.
709 : Portrait de l’auteur et de sa
fille.
710 : Deux portraits de femme. Même numéro.
711 : Un portrait de femme, ovale.
Salon 1800 :
CHARPENTIER (Mme) rue du théâtre français, n°17.
85 : Portrait de Mme Delille, artiste de
l’Odéon.
86 :
Portrait d’une petite fille.
87 : Plusieurs portraits sous le même
numéro.
Salon 1801 :
Salon du musée central des arts – an IX de la République.
Mme CHARPENTIER, rue du théâtre français, n° 17.
58 : La mélancolie.
59 : La jeunesse bienfaisante.
60 : Plusieurs portraits sous le même
numéro : 1 portrait d’homme cachetant une lettre – portrait de femme qui
déjeune – 2 portraits d’hommes – 1 portrait de femme.
Salon 1804 :
Musée napoléon – 1er jour complémentaire, an XII de la République.
Mme CHARPENTIER, rue du théâtre français, n° 17.
94 : Une mère convalescente soignée par
ses enfants.
95 : Portrait d’une jeune personne
montrant à lire à sa soeur.
96 : Plusieurs portraits sous le même
numéro.
Salon 1806 :
Musée Napoléon, 15 septembre 1806.
Mme CHARPENTIER, rue du théâtre français, n° 35.
94 : Un tableau de famille : Un
aveugle entouré de ses enfants est consolé de la perte de la vue par les
jouissances des quatre autres sens.
Salon 1808 :
Salon du musée Napoléon – 14 octobre 1808.
Mme CHARPENTIER
114 : Première cure d’un jeune médecin.
115 : Portraits et études. Même numéro.
Salon 1810 :
Musée Napoléon. 5 novembre 1810.
Mad. CHARPENTIER, rue de l’Odéon, n° 35.
155 : Plusieurs portraits, plusieurs
numéros.
Salon 1812 :
Musée Napoléon – 1er novembre 1812.
CHARPENTIER (Mad.) rue de l’Odéon, n° 35.
183 : Une mère recevant la confidence de
sa fille.
184 : Une jeune fille tenant un nid de
fauvettes.
185 : L’absence. Etude de femme.
186 : Portrait de Mme la baronne Dupin.
187 : Portrait de Mlle. Aug. Jodot.
188 : Portrait de M. Larey, major de
cavalerie, et de son épouse.
189 : Autres portraits.
Salon 1814 :
Musée royal des arts – 1er novembre 1814.
CHARPENTIER (Mad.), rue de l’Odéon, n° 35.
197 : Première cure d’un jeune médecin.
198 : Une dame recevant la confidence de
sa fille.
199 : Une jeune personne dessinant le
paysage.
200 : Portrait de deux jeunes filles de
M.C., statuaire.
201 : Idem de la fille de M. B.,
peintre.
202 : Tête de vieillard.
203 : Idem de vieille femme.
204 : Plusieurs portraits, même numéro.
Salon 1819 :
Musée royal des arts – 25 août 1819.
(Mad.) CHARPENTIER, rue de l’Odéon, n° 35
212 : Portrait de Mme A*** en paysanne suisse.
213 : Idem de Mlle G***, peintre.
214 : Idem d’une petite fille.
215 : Plusieurs portraits, même numéro.
2 – Tableaux cités dans l’inventaire après décès de François-Victor Charpentier du 16 mai 1810.
« Suivent les tableaux et autres objets d’art
lesquels ont été prisés et estimés par le susdit Mr Goddé, commissaire priseur, de l’avis de
M.M. Thomas François Guérin demeurant à Paris rue du faubourg Poissonnière n°
12, et de M. Julien Decemme, artistes peintres, experts choisis par les
parties, savoir M. Guérin par Madame Vve Charpentier et M. Decemme, par M.
Gely, lesquels ont prêté serment entre les mains de Me Debruge, son confrère
présent, de donner leur avis sur la valeur desdits objets en leur âme et
conscience et ont les susdits experts signé avec le susdit Mr Goddé et les
notaires après lecture faite.
Ouvrages de Mme Charpentier
Quatorze portraits d’hommes et de femmes dont dix
It deux tableaux dont
le père aveugle et l’autre la mère convalescente dans leurs bordures dorées prisés et estimés
cent quarante quatre francs
It une copie de la mère
convalescente de Mme Charpentier prisé cinquante francs
It St Paul dans sa
bordure de trois pieds de haut sur deux pieds deux pouces prisé douze francs
It deux tableaux
faisant pendants l’un dessin de fleurs et l’autre un paysage de vingt six
pouces de hauteur sur vingt pouces de largeur prisés quarante huit francs
It un tableau
représentant la première cure d’un jeune médecin dans sa bordure dorée de deux
pieds six pouces sur deux pieds huit pouces estimé soixante douze francs
It 2 différents sujets
dans leurs bordures dorées de dix-huit pouces sur vingt-quatre pouces
vingt-quatre francs
It la veuve d’une
journée et la veuve d’une année dans leurs bordures dorées de trente pouces de
hauteur sur vingt-six pouces estimés cent vingt francs
It deux études de
dessin estimées douze francs
It la petite friande
estimée quarante huit francs
It douze tableaux de
différentes grandeurs servant d’études prisés soixante francs … ».
3 – Tableaux mentionnés par Charles Gabet
[122]
« Les premières productions de
Mme Charpentier datent de 1774. Ce furent d’abord des Portraits en pied et
groupés ; le sien, où elle s’est représentée une première fois avec sa fille,
ensuite tenant sa palette ; après elle fit paraître la Veuve d’un jour et
La veuve d’une année qui lui obtinrent, en 1788, un prix d’encouragement de
1500 fr.; La Mélancolie, en pied, grand comme nature (Gouv.) ; des tableaux de
genre : La jeunesse bienfaisante, acheté par M. Margueri, exp. En 1801 ;
Un écrivain public et son pendant ; Compte-rendu sur l’anse du panier, des
deux tab. Achetés par M. le marquis de Rougé ; un portrait en pied ; La
Mère chérie ; Une jeune personne faisant lire sa petite sœur sur soi, et
faisant portrait, exp. En 1804 ; Un aveugle entouré de ses enfants ;
portrait de M. D., préfet des Deux-Sèvres ; portrait d’une Demoiselle à
son piano ; Une Femme convalescente soignée par ses quatre enfants ;
plusieurs portraits composés, au nombre desquels M. Filhol, éditeur de la
Galerie du Museum ; sa fille, encore enfant, est sur ses genoux, exp. en
1806 ; première Cure d’un jeune médecin, exp. en 1808 ; Une Mère
recevant la confidence de sa fille ; Une jeune fille tenant un nid de
fauvette ; ce tab., appartenant à M. de Sacy, a été exp. en 1812 ;Une
jeune fille dessinant un paysage, exp. en 1814 ; plusieurs Portraits,
entre autres ceux des demoiselles de M. Cartelier, statuaire, membre de
l’Institut ; deux Têtes d’études, l’une de vieille femme, l’autre de
vieillard ; elles ont figuré aussi à l’exp. de Douai, où elles ont mérité
à l’auteur une médaille d’argent… ».
4 – Tableaux mentionnés par le Benezit.
1863 – Vente X… : L’écolier.
1884 – Vente baron d’Ivry : Le ménage du poète.
Le
ménage du peintre.
Portrait d’un jeune homme.
14 mars 1901 – Portrait de M. P. Royer.
25 et 26 novembre 1904 – Vente Fournier : Le
marchand de raisin.
19 mars 1906 – La toilette.
7, 8 et 9 mars 1908 – Le marchand de raisin.
13 et 14 mars 1908 – La toilette.
25 novembre 1925 – Vente X… : Baigneuse.
9 et 10 novembre 1953 – Vente collection M.F et Mme
Vve L. : Portrait de jeune fille.
5
– Tableaux attribués à Constance Charpentier
[123]
6 – Tableaux attribués à Constance
Charpentier et non mentionnés dans une source écrite.
Portrait de Mme Templier et de sa
fille devant un paysage
La Malmaison
Tableau passé en vente en 2009 et attribué à
Constance Charpentier : une étiquette ancienne, au dos du tableau, mentionne « Charpentier »
(Galerie Terrades – Paris).
2 – Danton, mémoire sur
sa vie privée – Docteur Robinet – 1884 – Charavay frères, éditeurs.
3 – David, L’art et le
politique – Régis Michel et marie-Catherine Sahut – Découvertes Gallimard / Réunion
des musées nationaux.
4 – La femme de David –
Henri Troyat – 1990 – Flammarion.
5 – Portraits de femmes
– Olivier Blanc – 2006 – Editions Didier Carpentier.
6 – Chronique de la
Révolution – 1989 - Larousse
7 – Les fils de Danton
– E. Campagnac – Annales historiques de la Révolution française – 1947.
8 – Les portraits de la
famille Danton – E. Campagnac – Annales historiques de la révolution française
– 1953.
9 – A fine « David » reattributed – Charles
Sterling – The Metropolitan museum of art Bulletin – Janvier 1951.
10 – Women artists in all ages and countries –
Elisabeth Fries Lummis Ellet – New-York -1959.
11 – Catalogue de
l’exposition “Equivoques”- Peintures françaises du XIX° siècle – Musée des arts
décoratifs – 9 mars au 14 mai 1972.
12 – Catalogue de
l’exposition « de David à Delacroix » - Paris – 1974.
13 – Femmes au miroir –
Une histoire de l’autoportrait féminin – Frances Borgello.
14 – Le Paris de
Diderot – article de janvier-février 1963. 15 – XVIII° siècle –Institutions,
usages et costumes – Paul Lacroix – 1875.
15 – Dictionnaire
historique des rues de Paris – Jacques Hillairet.
16 – Dictionnaire des
artistes de l’Ecole Française au XIX° siècle – Peinture – Charles Gabet – 1831.
17 – Les salons de
peinture de la Révolution française (1789-1799) – J.F. Heim – Paris – 1989.
18 – Allgemeines
Kreustler Lexicon – Saur – 1998.
19 – Benezit.
20 – Femmes peintres
1550-1950 – Ann Sutherland Harris et Linda Nochlin.
21 – Femmes peintres à
leur travail : de l’autoportrait comme manifeste politique (XVIII°-XIX°
siècles) – Marie-Jo Bonnet – Revue d’histoire moderne et contemporaine –
2002/3.
22 – Nisa Villers, née
Lemoine (1774 – 1821) – Margaret A. Oppenheimer.
23 – Au cœur de la
Picardie, Histoire de Noyon racontée par ses rues – Jean Goumard – Société
archéologique, historique et scientifique de Noyon.
24 – Noyon dans la
tourmente révolutionnaire – Jean Goumard – Société archéologique, historique et
scientifique de Noyon.
25 – Les bourgeois
gentilshommes de Noyon – Gaston Braillon – Société archéologique, historique et
scientifique de Noyon.
26 - Le clergé noyonais
pendant la révolution – Gaston Braillon – Société archéologique, historique et
scientifique de Noyon.
27 – Catalogues des
ventes : Ader, Picard et Tajan- Drouot Montaigne – 12 décembre 1989 ;
Christies – Monaco – 7 décembre 1990 ; Christies – Monaco – 30 juin
1995 ; Etienne et Damien Libert – Drouot-Richelieu
– 31 mai 1995 ; Me François de Ricqlès - Drouot-Richelieu – 1er décembre 1995 ; Alain Leroy –
Drouot-Richelieu – 3 juin 2004 ; Christies – Londres -2006 ; Mes Eric
Beaussant et Pierre-Yves Lefèvre – Drouot-Richelieu – 2 décembre 2005 ;
galerie Wildenstein – New-York – 21 avril au 28 mai 1982 ; Rieunier et
Bailly-Pommery – 9 juin 1995 (ancienne collection du musée Steiner).
L’apparition sur internet du texte qui précède a eu au
moins le mérite de permettre de retrouver la trace de quelques tableaux de
Constance Charpentier qui, encore aujourd’hui, existent paisiblement accrochés
à leurs clous familiaux. La qualité des photographies qui en a été obtenue
laisse parfois à désirer. Elles apportent néanmoins la preuve de leur
existence. Tous sont dans les familles concernées depuis l’origine, transmis de
génération en génération. Si, pour l’un ou l’autre, un doute est possible, il
est signalé.
1 – Un tableau exposé au Salon de 1804.
« Une mère convalescente soignée par ses
enfants » est mentionné au livret
du Salon de 1804 sous le n° 94. Il est également présent dans l’inventaire du
16 mai 1810 dressé après le décès de François-Victor Charpentier.
Plus précisément, le texte de cet inventaire (cf. p. 105)
cite, d’une part, « deux tableaux dont le père aveugle et l’autre la mère
convalescente dans leurs bordures dorées prisés et estimés cent quarante quatre
francs », d’autre part « une copie de la mère convalescente de Mme
Charpentier prisé cinquante francs ».
Il y avait donc deux « mère convalescente »
dont le second exemplaire cité était une copie faite par Constance Charpentier
elle-même ou par quelqu’un d’autre.
Le tableau encore en possession de la branche concernée des
descendants directs de Constance Charpentier ne peut être cette copie. Il est,
en effet, toujours dans son cadre doré d’origine, cadre dont l’inventaire ne
dit pas que la copie aurait été pourvue. Ce cadre est identique à celui du
« père aveugle »
[a01]
Au
demeurant, il suffit de rapprocher la « mère convalescente » d’une
« mère recevant les confidences de sa fille » (cf. p.81) pour
constater sans la moindre difficulté l’analogie dans le style, les attitudes
des personnages, le cadre mobilier, les couleurs entre ces deux tableaux.
L’attribution à Constance Charpentier n’est pas discutable.
Une mère convalescente soignée
par ses enfants – Constance Charpentier – Salon de 1804 – huile sur toile – 115
x 94. (c.p.)
2
– Un tableau non mentionné.
Ce tableau n’a pas été exposé ou, à tout le moins,
n’apparaît pas dans les mentions, fort peu explicites, des livrets des Salons.
Il n’apparaît pas plus dans l’inventaire de 1810. Mais cela ne démontre pas
grand-chose. Constance Charpentier a peint bien au-delà de 1810. Ses
descendants, quant à eux, sont formels. Le tableau en question est son œuvre et
il a toujours été dans la famille. Le titre transmis de génération en
génération est « La servante paresseuse ». Il s’explique clairement
aussi bien par l’habillement de la jeune personne que par le plumeau laissé à
terre par elle pour mieux se consacrer à la lecture d’on ne sait quel petit
roman. Là aussi, la « touche » de Constance Charpentier est évidente.
S’y rajoute le bel effet de lumière obtenu par le jour provenant de la gauche,
dans le dos du sujet. C’est un tableau de la vie bourgeoise quotidienne que
l’on peut rapprocher du « compte-rendu sur l’anse du panier » (p.51).
Constance Charpentier aimait peindre ce qui était autour d’elle.
La servante paresseuse – Constance Charpentier – Huile sur toile – 38 x 44. (c. p.)
3
– Portraits de deux cousines et, peut-être, d’un neveu.
Les deux cousines
sont Euphrosine Marie Anne Gely et Julie Thérèse Bignot. Plus jeunes que Constance,
elles formaient néanmoins avec elle un aimable trio qui adorait se retrouver l’été
à Noyon. Une lettre conservée les cite, en 1801, en train de lire des vers que
François-Victor Charpentier, le mari de Constance demeuré à ses fonctions à
Paris, leur avait envoyés.
Euphrosine (1777 – 1847) avait
six ans de moins que Constance. Elle était, rappelons-le, la fille de Thomas Gely et de Marie Anne Geneviève Blondelu,
sœur du père de Constance, Pierre Alexandre Hyacinthe Blondelu.
C’est elle qui, rappelons-le aussi, avait volens nolens incarné la déesse
Raison dans la cérémonie républicaine du 20 novembre 1793 à la
« ci-devant » cathédrale de Noyon (cf. p.39). Son portrait fait par
Constance est toujours en possession de ses descendants.
Euphrosine Marie Anne Gely – Constance Charpentier – Huile sut toile – Restauré (C. P.)
Julie Thérèse Bignot – Constance Charpentier – Huile sur toile – (C. P.)
Le neveu est Alfred Donné (1801 – 1870), fils d’Euphrosine Marie Anne Gely qui
avait épousé Jean Donné. L’identification du beau jeune homme, objet du tableau
détenu depuis l’origine par ses descendants, est certaine.
La question de savoir si l’auteur du tableau est
Constance Charpentier est plus délicate. Elle connaissait évidemment le fils de
sa chère cousine. Dans une lettre en date du 29 novembre 1816, le jeune Alfred,
alors à la pension Savouré, dans le 5ème arrondissement de Paris,
racontait à sa mère, qui habitait Noyon, qu’il était allé voir avec un ami sa
« cousine Charpentier ». Il ne s’agissait évidemment pas de Constance
Marie Charpentier mais de sa fille Julie Constance alors âgée de 12 ans. Il réitère
dans une lettre du 26 mars 1819 : « Ma cousine Charpentier m’a chargé
de vous dire bien des choses. Nous nous amusons toujours beaucoup chez elle car
elle ne change pas, elle est toujours aussi originale et aussi amusante.
Constance grandit tous les jours, elle est bien bonne et bien gentille Elle
vous fait ses amitiés. ». Et dans une autre lettre du 12 janvier 1821
adressée à sa sœur Pauline : « La lettre que tu as écrite à Madame
Charpentier lui a fait grand plaisir, mais Constance attend impatiemment celle
que tu lui as promise. Je ne sais si tu as appris que ma cousine nous donne
vendredi prochain une jolie soirée, j’espère que nous y aurons de
l’agrément. ». Il est ainsi incontestable qu’Alfred Donné était un habitué
du 17 de la rue du Théâtre Français quand il avait entre quinze et vingt ans.
La famille pense que le portrait d’Alfred Donné a été
réalisé vers 1824, ce qui est convaincant au vu du tableau. Alfred avait alors vingt
trois ans. Mais elle n’a aucune certitude quant à son auteur. Il est très
possible qu’il s’agisse de Constance Charpentier qui le connaissait bien ainsi
qu’il vient d’être démontré. On pourrait même dire que l’on voit mal Constance,
qui faisait les portraits de tous ceux qui l’entouraient, résister à l’envie de
peindre un si beau sujet. Mais si, pour ces raisons, le portrait peut lui être
attribué, cette attribution ne peut être regardée comme certaine.
4 – Autres tableaux et un dessin.
On se
rappelle que, dans le texte ayant précédé cet additif, il avait été constaté
que Constance Charpentier semblait n’avoir fait les tableaux que de trois de
ses petits-enfants. Il manquait celui du dernier né, Xavier Gaultier de
Claubry, à la naissance duquel sa mère, Julie Constance, n’avait pas survécu.
On s’était interrogé alors : Constance avait-elle pu en vouloir, plus
ou moins consciemment, à cet enfant qui, en venant au monde, avait été la cause
de la disparition de sa fille
[a02]
.
L’interrogation
subsiste car, effectivement, elle n’a pas fait le portrait de Xavier à quelques
mois comme elle l’avait fait pour ses frères et sa sœur. Elle a attendu neuf
ans. L’enfant avait grandi. Il était là. La peine s’était un peu effacée. Elle l’a
fait enfin, en 1842. Le portrait de son petit fils existe toujours chez ses
descendants directs. Il est authentifié par Xavier Gaultier de Claubry qui a mentionné,
au dos, qu’il s’agit bien de lui à l’âge de neuf ans, peint par sa grand-mère
Charpentier. Il a cru devoir ajouter que « C’est le dernier portrait
qu’elle ait réussi ». Constance avait soixante-quinze ans. Peut-être avait-elle
voulu profiter de l’occasion de son dîner d’anniversaire, le 4 avril
[a03]
,
pour montrer à son petit-fils qu’elle l’aimait comme les autres.
Xavier Gaultier de Claubry – Constance Charpentier – 1842 – (C. P.)
Neuf ans plus tôt, Constance
Charpentier avait fait un portrait de sa fille Julie Constance à quelques
semaines de son accouchement fatal. Ce n’est pas un très beau tableau ou, si
l’on préfère, Constance en a fait de bien plus beaux. Mais, si l’on prend le
temps de le regarder attentivement, on ne peut qu’admirer le talent de
l’artiste qui, avec toute sa sensibilité, a su rendre évident pour le
spectateur l’alourdissement d’une grossesse difficile et une sorte de tristesse
mal dissimulée par un sourire que l’on sent un peu forcé. L’inquiétude était
là. Il y a, dans ce tableau, comme un caractère prémonitoire du drame à venir.
Par son triste sourire et son clin d’œil amusé – ruban rose, ce sera peut-être
une fille, ruban bleu, ce sera peut-être un garçon - Julie Constance s’efforce
de donner le change que la peintre s’empresse de représenter. Mais ses yeux,
qui fixent le spectateur, ne sourient pas. Et la peintre a su le montrer.
Quand on
connaît le contexte, ce tableau, conservé par ses descendants, serre le cœur.
Julie Constance Charpentier enceinte de son fils Xavier – Constance Charpentier – 1833 – (C. P.)
Huile sur toile – 20 x30
Il y a aussi, dans les mêmes souvenirs familiaux, ce petit portrait d’Henri Gaultier de Claubry, frère de Xavier, alors âgé d’une dizaine d’année et donc réalisé par Constance Charpentier en 1838.
Henri Gaultier de Claubry – Constance Charpentier – 16 x 21 - uile sur toile
Portrait de jeune homme – Constance Charpentier – 43 x 57 – Crayon et pastel sur papier - (C. P.)
5 – Tableau apparu dans une vente.
Il ne s’agit plus ici d’un tableau pendu
à un clou familial mais de l’apparition d’un portrait, signé et daté, au détour
d’une vente publique. Il trouve naturellement sa place dans cet additif.
Jeune femme à la robe bleue – Constance Charpentier – Signé : C – M.B./v. Charpentier - Daté : 1812.
huile sur toile - Vente Couteau Begari – Drouot – 18 novembre 2011
Le
Chesnay, 12 septembre 2012
Sept tableaux viennent, grâce à l’amabilité de leurs
propriétaires de toujours ou de leurs récents acquéreurs, compléter ce que la
monographie et son premier additif ont révélé de l’œuvre de Constance
Charpentier : trois scènes de genre et quatre portraits.
1 – Un tableau
exposé au salon de 1804.
Le « Portrait d’une jeune personne montrant à lire à
sa sœur » a été exposé au Salon de 1804 sous le n° 95. Ce numéro est
encore visible au revers de la toile. La signature « C M
Charpentier » l’est tout aussi clairement.
Son identification et son attribution à Constance
Charpentier ne peuvent donc faire de doute.
On ne connait pas, en revanche, l’identité de la jeune
fille ni celle de l’enfant prises pour modèles par la peintre. Notons
simplement que la petite fille ne peut être Julie Constance Charpentier. On
sait, en effet, que la première fille de Constance Charpentier ainsi prénommée,
née en 1794, était malheureusement décédée en 1803 à l’âge de neuf ans et que
la seconde, prénommée également Julie Constance, née le 31 mars 1804, n’avait
que quelques mois à l’époque du Salon de cette même année.
![]() |
Huile
sur toile – 61 x 50 cm.
Publié
avec l’autorisation des ayants-droit.
|
2 – Deux tableaux un peu surprenants.
![]() |
![]() |
|
Huile
sur toile – 32,5 x 40,5 © SCP Le Coënt-de Beaulieu et V. de M |
Huile sur toile – 65 x 54 cm. |
Ces deux tableaux sont passés en vente (SCP Le Coënt – de Beaulieu et V. de M.) le 10 novembre 2013 à Senlis. Non signés, de belle facture,
ils portent l’un et l’autre, au revers des toiles, le tampon « Belot » qui est celui d’un encadreur parisien, bien
connu à l’époque de Constance Charpentier, actif à Paris, rue de l’Arbre Sec, de
1798 à 1824.
Leurs sujets sont aisément identifiables. Pour le
premier, il s’agit évidemment de « La mélancolie »
[b1]
et, pour le deuxième, du personnage le plus à droite du tableau dit des
« Cinq sens »
[b2]
. On
est tenté, sans pouvoir aller jusqu’à la certitude, d’y voir des modellos de ces deux tableaux, le troisième en ce qui
concerne la « Mélancolie »
[b3]
,
partiel s’agissant de la « Joueuse de guitare ».
Selon une tradition de la famille des vendeurs, les deux
tableaux présentés ici étaient à l’origine la propriété de leur ancêtre Sophie Cahon, l’une des élèves de Constance Charpentier
[b4]
,
dont ils détiennent toujours un portrait par Léopold Leprince, peintre
principalement de paysages mais auteur également de portraits et de scènes de
genre (1800-1847).
3 – Un portrait de
1810.
Huile
sur toile - 65 x 55 cm.
Coll. part – Publié avec l’autorisation
des ayants-droit.
Il est indiqué au revers du
portrait de cet homme jeune par une écriture manifestement ancienne :
« Mme Charpentier », et une date : « 1810 ». Peut-être
a-t-il fait partie de ces « Plusieurs portraits, plusieurs numéros »
mentionnés sous le numéro 155 dans le livret du Salon de 1810 sous la rubrique :
« Mad. Charpentier, rue de l’Odéon, n° 35 ».
Si on ne détient aucune indication
irréfutable sur l’identité du sujet, on peut néanmoins se risquer à avancer une
hypothèse tentante.
Le ruban rouge qui orne sa boutonnière ne peut être à
cette époque que la légion d’honneur
révélant, pour cet homme en civil, un mérite déjà reconnu.
Constance Charpentier était, on le sait, très liée avec
sa cousine germaine Julie-Thérèse Bignot (1775-1856)
laquelle avait notamment un frère, Firmin Bignot né
en 1777. Ils avaient très tôt (1787) perdu leur mère, née Julie-Adélaïde Blondelu, et Constance, plus âgée de dix ans, avait
manifestement suppléé, vis-à-vis des enfants de Julie-Thérèse et au moins
affectivement, à cette perte. Or, on sait par les lettres conservées par
Constance qu’un Firmin, qui avait pour elle une grande affection, avait été son
élève puis était devenu médecin diplômé avant de s’engager, à la suite d’une
déception amoureuse, dans les armées napoléoniennes avec lesquelles, en 1812 et
1813, il était allé jusqu’à Moscou et retour
[b5]
.
En 1810, Firmin Bignot avait trente-trois ans et
pouvait avoir déjà vu ses mérites récompensés en sa qualité de médecin. Son
incorporation deux ans plus tard dans la 1ère Division de la garde
impériale suggère que ses talents de médecin-chirurgien étaient reconnus.
Bref, de là à penser que le présent portrait est celui de
Firmin Bignot avant son incorporation dans la Grande
Armée… Mais cela n’est et ne peut être qu’une hypothèse.
4 – Deux portraits
de 1817.
![]() Huile sur toile – 72 x 58 cm |
![]() Huile sur toile – 72 x 58 cm |
Ces deux portraits, signés et datés
(1817) par Constance Charpentier, sont, comme l’indiquent leurs propriétaires,
ceux de Christophe Millet, chirurgien militaire qui, à son retour d’émigration,
fut médecin du prince de Condé, et de Catherine Boidin née Roche.
Constance Charpentier n’ayant pas participé au Salon
entre 1814 et 1819, ils n’ont pas dû être exposés, sauf s’ils faisaient partie
des « Plusieurs portraits, même numéro » mentionnés dans le livret de
1819 sous le numéro 215, ce qu’il est impossible de vérifier.
C’étaient donc des tableaux de commande, constat qui
n’enlève évidemment rien à leur intérêt et, notamment, à la délicatesse du
portrait de Catherine Boidin.
5 – Un autre portrait.
Huile sur toile - 60 x 50 cm
Coll. part. – Publié avec l’autorisation des ayants-droit
Les heureux propriétaires de ce portrait
indiquent avoir découvert la signature « Blondelu Charpentier » lors de son nettoyage et de sa restauration. Ils précisent
qu’au-dessous de cette signature apparaît, quoique difficilement lisible, la
mention « Léon A de la R », mais il n’a pas été possible jusqu’à présent d’identifier de façon plus
explicite ce beau jeune homme.
Deux découvertes récentes incitent à poursuivre, d’additif en additif, la lente révélation de l’oeuvre de Constance Charpentier.
Il s’agit, cette fois, de deux portraits : le premier, d’une toute jeune fille, Alexandrine Emilie Brongniart dénommée plus simplement et couramment Emilie Brongniart ; le deuxième, d’un jeune homme, Charles Joseph du Roure, baron de Beaujeu.
1 – Emilie Brongniart.
Alexandre Théodore Brongniart (1739-1813), ce grand architecte auteur de nombreuses constructions qui marquent toujours Paris - pensons à la Bourse, pour ne prendre qu’un exemple de ses oeuvres – et qui fut membre de l’Académie royale d’architecture, avait épousé en 1767, Louise d’Aigremont (1744-1829). Ils eurent deux enfants : Alexandre, qui naquit en 1770, et Emilie, en 1780.
Emilie était une perle dont ils résolurent de garder des images au fur et à mesure qu’elle grandissait. Ils s’adressèrent pour cela aux meilleurs.
Ce
furent, successivement, un sculpteur, Jean Philippe Couasnon
qui réalisa en 1784 - Emilie avait donc alors quatre ans – un joli buste, bien
connu, abondamment copié depuis et dont l’original est aujourd’hui au musée du
Louvre. Puis, en 1788, alors qu’Emilie était une jolie petite fille de huit
ans, Elisabeth Vigée le Brun qui, avec son immense
talent, sut mettre à son portrait- aujourd’hui à la London national gallery - une charmante touche d’espièglerie. Et, enfin, en
1795, François Gérard dont le beau portrait qu’il fit de la jeune fille de
quinze ans est tout d’agréable retenue. Il est aujourd’hui aux Etats-Unis (Yale
university art gallery - New-Haven – Connecticut). On le voit ici en buste.
En 1795, François Gérard a 25 ans. Son talent, épanoui dans l’atelier de David où il était entré en 1784, est déjà reconnu. Il a obtenu un prix au concours du 10 août 1794. Il n’est pas étonnant qu’Alexandre Théodore Brongniart et son épouse aient confié leur perle à ce jeune talent.
Constance Charpentier connaissait bien François Gérard. Elle était, elle aussi rappelons-le, entrée dans l’atelier de David en 1784. En 1795, elle exposait, à son grand plaisir, pour la première fois au Salon. Et elle n’avait que trois ans de plus qu’Alexandre Brongniart (1770-1847), frère d’Emilie. Tous se connaissaient.
On en veut pour preuve, s’il en était besoin, ce que rapporte dans ses mémoires Cécile Coquebert de Montbret (1782-1862), l’épouse d’Alexandre. C’était en 1799. Evoquant deux visites chez Constance Charpentier, elle indique que celle-ci « cause avec gaieté et esprit et parle avec une modestie bien vraie de son talent qui est pourtant bien agréable ».
Quand Constance Charpentier eut-elle l’idée de faire le portrait d’Emilie Brongniart ? On ne le sait pas exactement. On peut imaginer François Gérard et Constance Charpentier devant leurs chevalets respectifs retrouvant, entre deux sourires complices à leur jeune modèle, la joie de l’émulation comme aux temps de l’atelier du Maître, et Constance s’effaçant devant la maîtrise de François en n’allant pas jusqu’à la peinture et en s’en tenant au fusain. Mais cela peut tout aussi bien être un travail très postérieur, au seul profit de ses élèves. Comme elle fera un jour une copie du portrait du « Roi de Rome » peint par Gérard, que ses élèves tentaient d’imiter.
En tout cas, Constance a toujours pris le soin de mentionner explicitement qu’il s’agissait de copies.
Voilà donc, ainsi qu’il est mentionné au dos du tableau, le « Portrait de Mademoiselle Brongniart dessiné d’après Gérard par Mme Charpentier ».
Fusain
et mine de plomb sur papier. 45 x 50
Coll.
part. ; publié avec l’autorisation des ayants-droit.
La mention au dos du tableau se poursuit par une intéressante indication : « Offert à Mlle Mathilde de Sacy, à l’occasion de son mariage, par M. l’Abbé Gaultier de Claubry ».
Le mariage en question a été célébré le 4 novembre 1891 à Paris. Mathilde de Sacy (1865-1958) était l’arrière-petite-fille d’Alexandre Brongniart et Cécile Coquebert de Montret. Quant à l’abbé Henri Gaultier de Claubry (1828-1910), il était l’aîné des quatre petits-enfants de François Victor et Constance Charpentier dont l’unique fille, Julie-Constance (1804-1833), avait épousé Henri Gaultier de Claubry (1792-1878). En 1891, Henri, le fils abbé, était curé de Saint Paul Saint François. Il fut ensuite curé de Saint Eustache jusqu’à son décès.
Constance Charpentier, veuve depuis 1810, est décédée en 1849. Les tableaux et dessins qu’elle avait conservés furent répartis entre ses trois petits-fils (Henri, Emmanuel et Xavier), sa petite fille, Constance, étant entrée en religion et ayant refusé tout legs. Emilie échut à Henri. Le fait que 42 ans plus tard, il ait donné à Mathilde de Sacy le portrait de son aïeule Emilie Brongniart montre, à tout le moins, qu’en dépit du temps écoulé et des générations successives, les relations se perpétuaient entre les descendants d’Alexandre Théodore Brongniart et Louise d’Aigremont et ceux de François Victor et Constance Charpentier.
2 – Joseph du Roure.
Huile sur toile – 45 x 37 cm
Ce tableau est passé en vente à l’Hôtel Drouot, à Paris, le 24 février 2017.
Une notice manuscrite, collée sur l’envers du tableau, précise notamment qu’il s’agit de Charles Joseph du Roure, baron de Beaujeu, fils d’Henri du Roure et de Gabrielle de Ginestant, né le 24 janvier 1773, marié le 23 janvier 1806 à Constance Froment de Castille et décédé le 18 janvier 1843, laissant trois enfants, un garçon prénommé Scipion, et deux filles jumelles.
Il est précisé également : « Ce portrait a été peint en 1791 par Charpentier dans l’atelier de David à Paris ».
Joseph
du Roure avait alors dix-huit ans. Constance
Charpentier, seul(e) « Charpentier » faisant alors partie de l’atelier de
David, en avait vingt quatre. Le fait qu’elle soit l’auteur du portrait du
jeune du Roure est incontestable. Et l’on ne peut que
constater que, participant à l’atelier du Maître depuis sept ans, son talent
s’était épanoui.
[1] A.F..
[2] Les actes officiels mentionnent : rue des Cordeliers, Cour du Commerce. Voir notamment en ce sens : « Danton – mémoire sur sa vie privée » - Docteur Robinet – 1884 - Annexe n° 6 p. 235. Seules les annexes de ce livre qui sont, pour l’essentiel, constituées par des actes officiels, sont dignes d’intérêt.
[3] Dictionnaire historique des rues de Paris – Jacques Hillairet. C’est toujours le cas aujourd’hui.
[4] Une pièce citée dans l’inventaire du 16 mai 1810 effectué après le décès de François-Victor Charpentier concerne un partage Blondelu du 5 novembre 1786.
[5] A.F.
[6] « Danton, mémoire sur sa vie privée »- Ibid-Annexe n° 17 p.291.
[7] « Familles Leroux et Gaultier de Claubry »-Louis Bour-La France généalogique-Bibliothèque-Cote L0587.
[8] L’almanach royal précise que tous les maîtres en chirurgie étaient, de droit, membres de l’Académie royale de médecine. Le « médecin de quartier » exerçait ses fonctions pendant 3 mois. Pour Gaultier de Claubry, il s’agissait des mois d’avril, mai et juin.
[9] Charles Gabet indique que Constance Charpentier a été l’élève de Wilk (Dictionnaire des artistes de l’Ecole Française au XIX° siècle – peinture – 1831). Wilk n’est pas identifiable. On adopte ici l’interprétation de Robert Rosemblum qui y voit une erreur de frappe, même si, dans son journal fort précis où, jour après jour de 1753 à 1793, Johann Wille note ce qu’il fait, les gens qu’il rencontre et les élèves dont il s’occupe, il ne mentionne pas Constance Charpentier (Journal de J.G. Wille (1753-1793)-Paris-1857-Archives du Louvre).
[10] « Dictionnaire historique des rues de Paris »-Ibid.
[11] « Danton »-Frédéric Bluche-1999-Librairie académique Perrin. Tout ce qui concerne Danton dans le présent ouvrage est tiré de cette remarquable biographie.
[12] « Danton-mémoire sur sa vie privée »-Ibid-Annexes 1 et 12.
[13] Equivalent de l’Ordre actuel des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation.
[14] « David – L’art et le poliitique »-Régis Michel et Marie-Catherine Sahut-1988.
[15] L’existence de ces deux tableaux n’est pas démontrée. Ils sont cités par Elisabeth Lummis Ellet, américaine de New-York (1812-1877) dans « Women artists in all ages and all countries » (New-York-1859) avec les appréciations rapportées, indication reprise par Clara Erskine Clement, autre américaine de Boston (1834-1916) dans « Women in the fine arts from the seventh century b.C. to the twentieth century” (Boston-1904), et par le site internet actuel www.gutemberg.org. Aucune trace n’en existe dans les sources françaises. La Watson Library du Metropolitan Museum of Art de New-York en ignore tout. On a, néanmoins, pris ici le parti de suivre Mrs Ellet. Les essais de Constance Charpentier ne sont pas invraisemblables dans le contexte de l’époque et on se refuse à faire à Mrs Ellet un procès en affabulation.
[16] On ne peut suivre Charles Gabet (Ibid.) quand il dit que « Les premières productions de Mme Charpentier datent de 1774 ». Constance avait alors 7 ans ! Il semble avoir été encore victime d’une erreur de frappe. Il serait plus vraisemblable de lire 1784, encore que l’on ignore tout d’éventuels premiers tableaux de jeunesse.
[17] « Danton, mémoire sur sa vie privée »-Ibid- Annexe n° 12.
[18] De 1777 à 1783.
[19] « Dictionnaire historique des rues de Paris »-Ibid.
[20] Procès-verbal de la séance du 7 septembre 1789 de l’Assemblée Nationale-Archives Nationales.
[21] Le cadre de ce portrait (C.P.) porte l’inscription évidemment postérieure : « Madame Blondelu née Debacq – Premier portrait par sa fille Constance Marie Blondelu épse Charpentier »
[22] « Le personnel municipal de Paris pendant la Révolution-Période constitutionnelle –Paul Robiquet-1890.
[23] On ne peut que renvoyer sur ce point au « Danton » de Frédéric Bluche.
[24] Voir chapitre 10 pour l’avenir de ce tableau.
[25] Musée de Troyes.
[26] « Les portraits de la famille Danton »-E. Campagnac-Annales historiques de la Révolution Française-1953-p.348 à353 ; « Les fils de Danton »E. Campagnac-Ibid-1947-p.37 à63.
[27] Il s’agit de la ferme de Nuisement, près de Chassicourt, à quelques lieues d’Arcis-sur-Aube, des terres du prieuré de Saint jean du Chesne à Trouan-le-Petit et d’une maison donnant sur la place du grand Pont à Arcis-sur-Aube.
[28] Il s’agit du 8 rue de Gruny – « Les bourgeois-gentilshommes de Noyon » - Gaston Braillon – Société archéologique, historique et scientifique de Noyon.
Thomas Gely habitait au 24 rue Saint-Eloi, de l’autre côté de la cathédrale : « Histoire de Noyon racontée par ses rues » - Jean Goumard – p.190 – Société archéologique, historique et scientifique de Noyon.
[29] « Les bourgeois gentilshommes de Noyon » -Ibid.
[30] « Les portraits de la famille Danton »-Ibid. Ce portrait est resté dans la famille Danton. En 1953, il était en possession de M. Albert Sardin, arrière-petit-neveu de Danton et lui-même artiste peintre.
[31] « Le clergé du Noyonais pendant la révolution » - Gaston Braillon – p. 207.
[32] Futur Louis-Philippe 1er.
[33] « Danton »-Ibid-p.135.
[34] A.F.
[35] A.F.
[36] La déclaration de guerre sera votée par l’Assemblée Législative le 20 avril 1792.
[37] Qualités apparaissant dans : « Danton, mémoire sur sa vie privée »-Ibid-Annexe n°17.
[38] Le 20 juin 1792, la foule envahit les Tuileries et contraint le Roi à coiffer le bonnet phrygien. Le manifeste publié le 25 juillet 1792 par le duc de Brunswick, commandant de l’armée prussienne, menace Paris d’une vengeance exemplaire s’il est attenté à la personne du Roi et y suscite l’indignation.
[39] A.F.
[40] Aujourd’hui au musée de Troyes.
[41] A.F.
[42] A.F.
[43] A.F.
[44] Antoine François Charpentier avait repris l’étude notariale de Me Jean Dosfant le 13 octobre 1791 (cf. A.N.-Minutier-ET/CXVIII/658). Il avait épousé Françoise Hébert le 24 novembre 1791 (cf. contrat de mariage-A.N.-Minutier-ET/XXII/75).
[45] « Dictionnaire historique des rues de Paris »-Ibid. La rue du Théâtre Français, percée en 1776, s’est appelée un temps rue de la Comédie. Elle est devenue et est toujours rue de l’Odéon. Le numérotage des immeubles a évolué au cours du temps.
[46] C.P.
[47] « Familles Leroux et Gaultier de Claubry »-Ibid-p.47.
[48] Il est établi qu’en janvier et février 1794, Danton a sauvé plusieurs personnes arrêtées (« Danton »-Ibid-p.432). Charles-Daniel Gaultier de Claubry n’apparait dans aucune liste de condamnés par le Tribunal révolutionnaire (Archives nationales) et n’a donc pu se trouver sur une charrette de suppliciés dont un conventionnel l’aurait fait descendre pour procéder à un accouchement difficile, circonstance rapportée par une tradition encore connue des descendants directs de Constance Charpentier. Sortir de prison a pu passer à la postérité comme avoir échappé à l’échafaud. La coïncidence entre l’année de naissance de Julie-Constance, la proximité du ménage Charpentier de Danton, l’arrestation de Charles-Daniel et l’action de Danton à cette époque en faveur de personnes arrêtées conduisent au parti pris ici de relier ces quatre évènements pour donner un éclairage vraisemblable à la tradition familiale.
[49] « Noyon dans la tourmente révolutionnaire » - Jean Goumard – Société archéologique, historique et scientifique de Noyon.
[50] Ibid. p.253. Jean Goumard avance que la « citoyenne Gely » aurait pu être Louise-Sébastienne Danton, née Gely. Mais celle-ci était la fille de Marc-Antoine Gely, habitant à Paris Cour du Commerce, et non de Thomas Gely résidant à Noyon. Le 20 novembre 1793, Louise-Sébastienne, venant d’Arcis-sur-Aube, était rentrée la veille à Paris avec son mari.
[51] Saint-Just et Robespierre ont dénoncé Danton et ses amis comme traîtres à la Patrie, derniers partisans du royalisme. Le procès n’en a eu que le nom, les accusés étant finalement réduits au silence et le pouvoir en place veillant étroitement à la condamnation à mort des accusés.
[52] Il s’agit peut-être de celui qui avait repris le café du Parnasse en 1788.
[53] A part l’affirmation de Charles Gabet, il n’y a aucune trace d’un travail en commun de Constance Charpentier avec louis Laffitte.
[54] Collection des livrets des anciennes expositions - J.J. Guiffrey - Bibliothèque des arts décoratifs.
[55] Chronique de la Révolution- Larousse - p. 506.
[56] Ibid.
[57] Cité par C. Gabet comme ayant été « acheté par M. le marquis de Rougé ».
[58] Exposé à la galerie Wildenstein de New-York du 21 avril au 28 mai 1982 sous le titre « L’anse du panier », après être passé en vente à Paris le 31 octobre 1979 (galerie Pardo) sous le titre « la servante réprimandée »..
[59] Portraits de femmes - Olivier Blanc – 2006 - p.91.
[60] Voir sur ce point, « Femmes peintres à leur travail : de l’autoportrait comme manifeste politique » - Marie-Jo Bonnet – Revue d’histoire moderne et contemporaine – n°49-3 – 2002-3.
[61] Vente Ader-Picard-Tajan – Paris – 12 décembre 1989.
[62] C.P.
[63] « Journal des arts, de littérature et de commerce » - n° 20 – 10 brumaire an VIII (31 octobre 1799) – Archives nationales.
[64] Vente Christie’s – Monaco – 7 décembre 1990.
[65] C.P.
[66] Le livret du Salon de 1801 précise explicitement, pour une fois, les sujets de ces deux tableaux signés. Vente de l’ancienne collection du musée Steiner – Rieunier et Bailly-Pommery – 9 juin 1995.
[67] Ibid.
[68] A.F.
[69] Ibid.
[70] Julie-Thérèse Bignot, fille de Pierre Bignot et Julie-Adélaïde Blondelu alors décédée, épouse de René Jean Rémi Brière.
[71] Il est probable que c’est également de cette époque que datent les portraits de René-Jean-Rémy Brière et de son épouse Julie-Thérèse née Bignot (cf. page 5) dont les descendants conservent la trace.
[72]
A.F.
[73]
A.F.
[74]
Ibid.
[75]
“A fine David reattributed” -
The Metropolitan museum of art bulletin – January 1951.
[76] A.F.
[77] Art Museum de Saint-Louis. Le rapprochement est fait sur le site internet américain « Artnet ».
[78] C.P.
[79] Parue dans la « Gazette des beaux-arts » - 1996-I.
[80] « Contre-épreuves des croquis de R. Monsaldy pour les salons de l’an VIII, de l’an IX et de l’an XII » - Archives du Louvre – Cabinet des estampes.
[81] Sauf à supposer une erreur d’enregistrement, la hauteur réelle étant de 5 pieds 3 pouces au lieu de 3 pieds 5 pouces. Mais, à ce compte, on peut tout supposer.
[82] Le MET ne mentionne plus aujourd’hui l’attribution du tableau à Jacques-Louis David d’abord, puis à Constance Charpentier entre 1951 et 2007. L’intitulé désormais retenu ne contredit pas par lui-même le fait que le modèle aurait été Mlle du Val d’Ognes. Il est cependant ajouté qu’il pourrait être un autoportrait de son auteur, ce qui passe par profits et pertes les déclarations du commandant Hardouin de Grosville … Quant à la justification de l’attribution à Marie-Denise Villers, le MET ne semble pas l’avoir rendue publique.
[83] A.F.
[84] Une tradition familiale rapporte que Julie-Constance est décédée des suites des brûlures provoquées par l’eau bouillante d’une bassine qu’elle transportait et qui s’était renversée sur elle.
[85] A F.
[86] François Jérôme Charpentier, outre l’âge, n’a pu qu’être très affecté par les déboires de son fils ainé, Antoine François, qui a du démissionner de sa charge de notaire en 1803 à la suite de mauvaises affaires financières et qui, ayant fait faillite, a été incarcéré pour dettes (cf. Etudes et notaires parisiens en 1803, au moment de la loi du 25 ventôse an XI (16 mars 1803)-Philippe Bertholet-Paris-2004-p. 320-322).
[87] « Danton Mémoire sur sa vie privée » - Ibid.- Annexe n° 19.
[88] La photographie d’une litographie de ce tableau existe dans les archives du Département des peintures du Louvre.
[89] Vente Chritie’s – Monaco – 7 décembre 1990.
[90] C.P.
[91] A.F.
[92] « Familles Leroux et Gaultier de Claubry » - Ibid.
[93] Vente Beaussant et Lefèvre – Paris – 2 décembre 2005.
[94] C.P.
[95] C.P.
[96] C.P.
[97] L’un passé dans une vente (Christie’s – Grande-Bretagne – 2006), l’autre publié (voir annexe II)..
[98] Il s'agissait d'une fabrique d'objets en métal recouverts d'un placage, notamment des lanternes.
[99] Actuel 6ème arrondissement.
[100] Cet avoir est, en réalité, théorique : il n’y a en caisse que 112,50 f, le passif de la société s’élève à 137 416,67 f, l’actif à 111 737,67 f, tandis que les dettes de Constance se montent à 4 091,80 f et les rentrées prévisibles provenant des leçons données à ses élèves sont de 208 f. La situation financière de Constance est, à dire vrai, assez précaire.
[101] Vente Tajan – Paris – 2003.
[102] A.F.
[103] N° 1280 – vol.LXIII.
[104] A.F.
[105] C.P.
[106] Publiée dans « Les fils de Danton » E. Campagnac - Annales historiques de la révolution - 1947 p.37 et s.
[107] Il fut acheté par le Dr Robinet qui en fit don au musée Carnavalet. Le même musée possède un autre tableau de Danton, plus grand mais strictement identique, attribué simplement à l’ « Ecole française du XVIII° siècle ». Serait-il impensable que ce tableau ait été peint par Constance Charpentier, le premier n’en n’étant que le modello ?
[108] « Les fils de Danton » - Ibid.
[109] Vente Etienne et Damien Libert et Alain Castor – Paris – 31 mai 1995.
[110] Me François de Ricqles – Paris – 1er décembre 1995.
[111] C.P.
[112] L’attribution des tableaux non signés est décidément un art bien difficile si tant est qu’elle ne résulte pas, parfois, de considérations purement mercantiles.
[113] A.F.
[114] « Familles Leroux et Gaultier de Claubry » - Ibid.
[115] A F.
[116] Les numéros impairs de la rue du Pot de Fer – Saint Sulpice (aujourd’hui rue Bonaparte) se trouvaient le long des bâtiments du séminaire Saint Sulpice, maintenant siège d’un service des impôts, à l’emplacement de l’actuelle allée du Séminaire.(Dictionnaire historique des rues de Paris – jacques Hillairet).
[117] C.P.
[118] C.P.
[119] C.P.
[120] A.F.
[121] Intitulés mentionnés dans les livrets des Salons (Archives du Louvre) ou tels que rapportés par J.J. Guiffrey dans « Collection des livrets des anciennes expositions » - Paris – Musée des arts décoratifs.
[122] « Dictionnaire des artistes de l’Ecole Française au XIX) siècle – peinture » - 1831.
[123] Publiés sur des sites internet sans indication de signature, de date, d’origine ni de date de vente.
[a01] De son vrai titre « Un aveugle entouré de ses enfants est consolé de la perte de la vue par les jouissances des quatre autres sens »
[a02] p.94
[a03] Ibid.
[b1] Monographie – p.65.
[b2] Ibid. p.77.
[b3] En plus de celui publié dans la monographie (p.56), il existe dans une collection particulière un modello au fusain. Dans cette hypothèse, Constance Charpentier aurait ainsi commencé par le fusain, poursuivi par celui publié p. 56 et, avant d’aborder le grand tableau final, approfondi son idée dans le troisième dont les tons en sont nettement le plus proche.
[b4] Ibid. p.68 où il est indiqué, par erreur, Sophie Cahou.
[b5] Monographie p 83 et 84.